mercredi 28 avril 2010

Economie. Dégrippons la boussole !

Pas simple, sans doute, de détrôner le sacro-saint Produit Intérieur Brut. Selon Isabelle Cassiers, l’exercice est néanmoins indispensable. Et pour cause. Il s’agit ni plus ni moins de réorienter nos sociétés vers un objectif qui, si possible, fasse sens, ou, au minimum, soit viable…

Isabelle Cassiers (1)

Cette contribution a fait l’objet d’une publication dans la Revue Nouvelle
en mars 2009 (n°3, pp. 53-61).
Elle est présentée sur ce blog en trois parties, dont voici la dernière.
Les titre, chapeau et intertitres sont de la rédaction.

Depuis soixante ans, le PIB sert de référence à de nombreux niveaux: comparaisons internationales, évaluation des politiques économiques, octroi de crédits par les grandes institutions internationales, projections pour l’avenir et guidance des politiques économiques et sociales. Il est devenu très médiatisé grâce à la simplicité d’un chiffre unique qui monte (et l’on se réjouit) ou qui descend (et l’on s’inquiète). Le détrôner n’est donc pas simple.
C’est néanmoins indispensable, s’il s’agit de réorienter nos sociétés vers un objectif qui, si possible, fasse sens, ou au minimum soit viable.
Prenons une analogie: la réforme de programmes scolaires. Comment faire croire aux élèves et au corps enseignant que les objectifs de la formation sont désormais la participation créative, la réflexion personnalisée, l’initiative et l’esprit d’équipe si l’évaluation reste organisée sous forme d’examens individuels qui ne requièrent que la mémorisation de textes ou de méthodes imposés? Le mode d’évaluation révèle implicitement les objectifs de la formation. De la même manière, la recherche actuelle d’indicateurs alternatifs au PIB peut être comprise comme une approche pragmatique d’une redéfinition des objectifs de nos sociétés.
Détrôner le PIB est certainement difficile, mais on ne part pas de rien (2).
Dès les années soixante, des recherches visaient à compléter le PIB, jugé trop exclusivement économique, par des indicateurs sociaux.
Vinrent ensuite, par vagues successives ou entremêlées, des indicateurs de satisfaction de vie, d’impact environnemental et d’insécurité d’existence.
Certains sont très connus.

Indicateur de développement humain

Ainsi, l’indicateur de développement humain (IDH), adopté par le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) en 1990, associe dans un indice unique trois composantes: le PIB par habitant, un indice de longévité et un indice d’éducation. Son adoption par l’ONU et la publication annuelle des valeurs de l’indicateur pour cent septante-huit pays constituent une étape importante dans la réflexion sur le développement, mais laissent encore des motifs d’insatisfaction. Les questions environnementales ne sont pas prises en compte, ni celles des inégalités. Compléter le PIB par deux autres indices sans le réviser en profondeur ne résout pas le problème de la présence en son sein d’activités nuisibles ou non désirables. Peut-on accepter que figure au titre de développement humain la production de biens réputés nocifs pour la santé ou destructeurs du lien social?

Empreinte écologique

Rompant radicalement avec l’idée d’une mesure par l’évaluation du marché, un autre indicateur très médiatisé, l’empreinte écologique, propose depuis 1994, de mesurer l’impact des activités humaines sur l’écosystème en termes d’hectares globaux. Le grand mérite de cet indicateur est de montrer de manière explicite l’impossibilité de poursuivre notre mode de développement actuel, puisque l’empreinte écologique de l’humanité ne cesse de croître, a franchi en 1986 les limites des capacités de la planète et les surpasse aujourd’hui de 30 %.
Mais contrairement à l’IDH, sa vocation n’est pas de remplacer le PIB: il n’indique que les limites écologiques de notre activité.

Indicateur de bien-être économique durable

Faut-il tenter de réunir en un seul indicateur des matières aussi diverses que le niveau de vie matérielle, la santé, l’éducation, le respect de l’environnement, la restriction des inégalités, l’emploi de qualité, l’appréciation subjective du bien-être? Certains estiment que l’entreprise est impossible et qu’il vaut mieux établir des tableaux de bord plus nuancés (3). Cette position comporte toutefois un risque: on ne détrônera pas un chiffre unique très médiatisé par une multiplicité d’informations certes plus nuancées, mais peu utilisables par les médias.
C’est pourquoi d’autres explorent encore la voie d’un indicateur synthétique, tel que l’Indicateur de bien-être économique durable dont la valeur a été estimée pour la Belgique (4). Celui-ci part de la consommation privée et des dépenses publiques, en retranche les coûts environnementaux et sociaux, y ajoute une estimation de la valeur du travail bénévole et domestique et corrige l’ensemble pour tenir compte des inégalités.
Une version ultérieure de cet indicateur s’est donné le nom plus ambitieux de Progrès véritable. Si la définition implicite du progrès qu’il véhicule est beaucoup plus nuancée que celle du PIB, il ne fait pas nécessairement l’unanimité : peut-on trouver un consensus sur le contenu d’un «progrès véritable»?

Une question qui mérite débat

Ces questions ont été mises à l’agenda de nombreuses organisations et institutions, notamment l’OCDE (5).
Elles ont également été confiées à une Commission sur la mesure des performances économiques et du progrès social présidée par le prix Nobel d’économie J. Stiglitz.
Elles sont tout aussi passionnantes que difficiles: derrière chaque question de méthode (comment additionner des pommes et des poires, comment évaluer certaines composantes du bien-être individuel ou du progrès sociétal, par quoi remplacer l’évaluation par le marché de la valeur des biens et services?) se cachent d’inévitables prises de position normatives qui méritent un débat démocratique.
C’est pour cette raison que s’est créé le Forum pour d’autres indicateurs de richesse (FAIR) (6): s’il est bon que des experts examinent les diverses orientations envisageables pour la création de nouveaux indicateurs, il semble indispensable qu’un débat démocratique, aussi large que possible, permette aux partis politiques, aux interlocuteurs sociaux, aux ONG et aux simples citoyens de faire entendre leur propre conception du bien-être et du progrès. (7)

Isabelle Cassiers

(1) Professeur à l’UCL et chercheur qualifiée du FNRS, Isabelle Cassiers est aussi membre de l’Institut pour un développement durable (IDD) et du Forum pour d’autres indicateurs de richesse (FAIR ).
(2) La suite de cet article est inspirée de réflexions partagées avec Géraldine Thiry, dont la thèse de doctorat en cours (UCL-IRES) est consacrée aux indicateurs alternatifs au PIB. Une bibliographie importante se développe sur ces questions.
Voir l’excellent livre de J. Gadrey et Fl. Jany-Catrice, Les nouveaux indicateurs de richesse, 2005 et les sites renseignés dans les notes suivantes.
(3) C’est l’option prise en Belgique par le Bureau du Plan où l’équipe de N. Gouzée progresse dans l’élaboration d’une batterie d’indicateurs de développement durable.
(4) Brent Bleys, «Proposed Changes to the Index of Sustainable Economic Welfare : An Application to Belgium», Ecological
Economics, 2008, 64(4). D’autres indicateurs synthétiques semblent plus prometteurs (notamment celui d’Osberg
et Sharpe, Index of Economic Well-being), mais n’ont pas encore été calculés pour la Belgique.
(5) Voir notamment diverses rencontres et programmes sous les titres de «Mesurer et favoriser le progrès des sociétés» ou «Beyond GDP» (au-delà du PIB) dont on trouve les informations sur internet.
(6) Voir le manifeste de FAIR (
www.revuenouvelle.be/rvn_abstract.php3?id_article=1447) et le site www.idies.org/index.php?category/FAIR). En Belgique, on notera en ce sens l’intérêt du projet Wellbebe coordonné par l’Institut pour un développement durable (IDD) : «Vers des indicateurs théoriquement fondés et démocratiquement légitimes du bien-être en Belgique».
(7) En cas de difficulté technique, les commentaires à ce "message" peuvent également être envoyés (avec ou sans signature nominale et/ou adresse électronique) à engels_chr@yahoo.fr . Ils seront publiés sur ce blog dès que possible.

lundi 26 avril 2010

Economie. Ce qui compte et ce que l'on compte.










Aujourd’hui, l’urgence n’est plus d’élargir le gâteau mais de le cuisiner sans dégâts, d’améliorer sa qualité nutritive et de mieux le partager.
Comment, donc, réconcilier ce qui compte et ce que l'on compte ?

Isabelle Cassiers (1) et Géraldine Thiry (2)

Cette contribution est basée
. sur un encadré de l’article
« Pour changer de cap, dégrippons la boussole» d’Isabelle Cassiers
paru dans la Revue Nouvelle en mars 2009 (n°3, p. 57),
. sur un article d’Isabelle Cassiers et Géraldine Thiry
intitulé «Réconcilier ce qui compte et ce que l’on compte»
et paru dans la Revue Louvain (UCL) du 15 décembre 2009.
Les titre, chapeau et intertitres sont de la rédaction.

Peut-on se passer de croissance? Faut-il prôner la décroissance? Ces questions semblent mal posées. Il ne s’agit pas de repartir en arrière, ni même d’arrêter la course, pour se maintenir dans un état stationnaire. Il s’agit plutôt de faire le tri entre des activités qui servent l’humanité et la planète et d’autres qui leur sont nocives. Or les critères de la comptabilité nationale ne le permettent pas.
La croissance du PIB, cela peut être
. la production et le commerce incontrôlé d’armes de guerre, mais aussi l’organisation de réunions diplomatiques en faveur de la paix;
. la production et la consommation de substances cancérigènes, mais aussi la production de vaccins et l’organisation de campagnes médicales;
. une activité financière de pure spéculation, mais aussi le financement d’activités locales assurant aux plus pauvres autonomie et dignité;
. la production de biens agricoles finalement détruits à la suite d’une «surproduction», mais aussi la lutte contre la malnutrition.
Ces exemples suggèrent qu’en soi, la croissance n’est ni bonne ni mauvaise. Tout dépend de son contenu. Poursuivre la croissance pour la croissance apparaît aujourd’hui comme un non-sens écologique et humain. Il s’agit de se doter de nouveaux outils, non plus pour encourager les activités marchandes, toutes catégories confondues, mais pour encourager les activités qui «font sens».

Au-delà du PIB

Récemment, des initiatives de grande envergure (Forum mondiaux de l’OCDE) ou très médiatisées (Commission Stiglitz) ont explicitement posé la question d’un «Au-delà du PIB»: si cet indicateur, utilisé comme moteur des politiques économiques, nous égare, n’y a-t-il pas urgence à en changer? Comme le résume joliment Paul Krugman, quel intérêt d’avoir de la croissance s’il n’y a plus de planète?
Alors, comment réconcilier ce qui compte (la préservation de la nature et nos valeurs humaines) et ce que l’on compte (les indicateurs à l’aide desquels on gouverne) ?
Les débats actuels sur ce sujet mettent en évidence trois impératifs:
1. Mesurer des résultats plutôt qu’une production évaluée monétairement: ainsi, les taux d’alphabétisation importent plus que les dépenses d’éducation, qui ne disent rien de leur efficacité. C’est une question de bon sens.
2. Prendre en compte les patrimoines, dans leur diversité: ne plus se contenter de valoriser les flux d’activité et de revenus (ce que fait le PIB) en ignorant les ponctions sur les stocks de richesse, en particulier sur le patrimoine naturel. Il en va de notre responsabilité vis-à-vis des générations futures.
3. Intégrer des questions de répartition: la croissance d’un revenu global peut être très inégalitaire. Un PIB par tête en hausse n’empêche pas certains revenus de baisser, ce qui crée dans la population le sentiment d’être trompé par les chiffres. Equité et représentation démocratique sont ici en jeu.

Au delà des travaux d’experts

Remplacer le PIB est un exercice complexe et digne du plus grand intérêt. La complexité n’est pas tant d’ordre statistique: de nombreux indicateurs alternatifs existent déjà, l’inventaire peut en être dressé. Mais chacun d’eux recèle implicitement une vision particulière du progrès. Lequel choisir? Comment construire un consensus?
La difficulté de l’exercice réside surtout dans le bousculement des valeurs et comportements sur lesquels une ou deux générations se sont établies.
La réflexion sur les indicateurs ne peut être confiée aux seuls experts mais relève du débat démocratique. Elle nous mène sur le terrain de nos finalités collectives.
On aurait tort d’y voir une question réservée à quelques idéalistes, sous prétexte que la croissance du PIB est indispensable à la création d’emploi, à la survie des entreprises et à la santé des finances publiques. Les temps où toute croissance de l’activité et des revenus était bonne sont révolus. S’y accrocher est un combat d’arrière-garde.
Aujourd’hui, l’urgence n’est plus d’élargir le gâteau mais de le cuisiner sans dégâts, d’améliorer sa qualité nutritive et de mieux le partager (3)(4)(5).

Isabelle Cassiers et Géraldine Thiry

(1) Isabelle Cassiers, professeur d'économie à l'UCL (CIRTES et IRES) et chercheur qualifié du FNRS, est aussi membre du Conseil central de l'économie et du Forum pour d'autres indicateurs de richesse (FAIR).
(2) Assistante à l'UCL (CIRTES et IRES), Géraldine Thiry prépare un doctorat en économie sur les indicateurs alternatifs au PIB. Elle est également membre de FAIR.
(3) Une étude complète est disponible sur http://sites.uclouvain.be/econ/Regards/Archives/RE075.pdf
(4) Pour suivre (sous réserve d’éventuelles modifications de dernière minute):
. «Economie. Dégrippons la boussole!» (Isabelle Cassiers)...
(5) En cas de difficulté technique, les commentaires à ce "message" peuvent également être envoyés (avec ou sans signature nominale et/ou adresse électronique) à engels_chr@yahoo.fr . Ils seront publiés sur ce blog dès que possible.

vendredi 23 avril 2010

Economie. Changer de cap.



La croissance n’est ni bonne ni mauvaise, assure Isabelle Cassiers.
Tout dépend de son contenu.
Poursuivre la croissance pour la croissance apparaît donc aujourd’hui comme un non-sens écologique et humain.
Il s’agit désormais de se doter de nouveaux outils, non plus pour encourager les activités marchandes, toutes catégories confondues, mais pour encourager les activités qui «font sens».

Isabelle Cassiers (1)

(Cette contribution, qui a fait l’objet d’une première publication
dans la Revue Nouvelle en mars 2009 (n°3, pp. 53-61),
est présentée sur ce blog en trois parties, dont voici la deuxième.
Les titre, chapeau et intertitres sont de la rédaction.)

On l’a vu, les raisons sont nombreuses de douter de la capacité de la croissance économique — telle qu’elle se poursuit et telle qu’elle se mesure — à nous rendre globalement et collectivement plus heureux ou satisfaits de notre vie.
Pourtant, il ne se passe pas un jour sans que les médias, les gouvernements, les grandes institutions ne mentionnent le caractère indispensable de la croissance, au nom du bien-être de tous. Comment a-t-on pu arriver à une telle confusion?

Croissance du PIB: un objectif historiquement daté

Le PIB est un concept auquel correspond un chiffre. La croissance économique se réfère à l’augmentation de ce chiffre d’une année à l’autre. Ce chiffre est obtenu sur la base de conventions comptables, et toute convention est toujours discutable, car elle simplifie la réalité pour en faciliter l’appréhension.
La comptabilité nationale a été établie au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale. Les conventions retenues reflètent les croyances et connaissances d’une époque ainsi que l’état des rapports sociaux et des compromis politiques au moment de sa constitution. En deux générations, bien des choses ont changé.
Après la profonde dépression des années trente et son cortège de chômage, après quatre années de guerre durant lesquelles l’économie s’était désarticulée et la majorité de la population avait eu faim, les Européens aspiraient au bien-être matériel. Les États-Unis, triomphants, souhaitaient encourager l’économie de marché et détourner les progressistes d’Europe de toute tentation communiste.
Les syndicats ouvriers semblaient disposés à renoncer à une opposition au régime capitaliste pour faire croître le «gâteau économique», pour autant qu’ils en obtiennent constamment une bonne part. Des pactes sociaux furent scellés.
Simultanément, la révolution keynésienne avait modifié la pensée économique dominante: la dépression n’avait-elle pas démontré que le libre fonctionnement des marchés ne conduisait pas au plein-emploi? Même en économie de marché, il incombait à l’État d’assumer un certain pilotage de l’activité économique.
Pour piloter, il fallait un tableau de bord. La comptabilité d’entreprise en fournit la base logique. La production nationale fut représentée comme un grand circuit reliant les entreprises aux consommateurs, en transitant si nécessaire par l’État, une sorte de système sanguin dont le fluide serait la monnaie. C’était un choix correspondant à un contexte: à la même époque, les économies dirigées mettaient en place un autre système comptable basé sur les besoins de la planification et l’absence de marché.

Croissance du PIB: un objectif aujourd’hui inapproprié

Le contexte de l’époque explique aisément certaines conventions adoptées par la comptabilité nationale, qui dérangent aujourd’hui.
On dénonce fréquemment le fait que le PIB ignore les activités domestiques ou bénévoles: seuls les légumes échangés sur un marché sont inclus dans le PIB, alors que les légumes de nos jardins ont tout autant voire plus de saveur et de valeur nutritive.
Mais en 1945, c’est bien l’activité marchande qu’il s’agissait de remettre sur pied et de soumettre éventuellement à une régulation étatique.
Autre critique: la comptabilité nationale ne prévoit pas de soustraire du PIB les dommages causés à l’environnement: la production et la consommation de charbon sont comptées à leur valeur marchande, comme la production et la consommation d’énergie solaire, sans égard pour l’impact sur l’atmosphère. Rien d’étonnant à cela: la prise de conscience de la question écologique est beaucoup plus récente que l’invention du PIB.
Plus fondamentalement encore, les pères fondateurs de la comptabilité nationale n’imaginaient pas que cet outil de mesure de l’activité marchande soit utilisé pour évaluer le bien-être (2).
La croissance exceptionnelle du PIB pendant les Trente glorieuses releva considérablement les niveaux de vie matérielle et permit le financement de systèmes de protection sociale étendus. Pendant cet «âge d’or», l’organisation économique et sociale s’est développée sur un postulat de croissance permanente.
Quelques voix se firent bien entendre pour crier Halte à la croissance (1970), mais elles furent étouffées par les chocs pétroliers, la montée du chômage, le creusement des déficits publics. Pendant les trente années suivantes les gouvernements, encouragés par les grandes institutions, tentèrent sans relâche de renouer avec la croissance du PIB, mais celle-ci devint plus explicitement problématique: atteinte des limites écologiques, montée des inégalités réduisant sa légitimé, destruction de plus en plus flagrante de certains aspects de la qualité de vie, comme nous l’avons vu ci-dessus.
Peut-on se passer de croissance? Faut-il prôner la décroissance? Ces questions semblent mal posées (3). Il ne s’agit pas de repartir en arrière, ni même d’arrêter la course, pour se maintenir dans un état stationnaire. Il s’agit plutôt de faire le tri entre des activités qui servent l’humanité et la planète et d’autres qui leur sont nocives. Or les critères de la comptabilité nationale ne le permettent pas. (4)

Isabelle Cassiers

(1) Professeur à l’UCL et chercheur qualifiée du FNRS, Isabelle Cassiers est aussi membre de l’Institut pour un développement durable (IDD) et du Forum pour d’autres indicateurs de richesse (FAIR ).
(2) Voir Isabelle Cassiers «Comptes et légendes, les limites de la comptabilité nationale», Reflets et perspectives de la vie économique, 1995, XXXIV - 6, repris dans Problèmes économiques, 1996, n° 2467. Voir surtout le remarquable livre de F. Fourquet, Les comptes de la puissance, histoire de la comptabilité nationale et du plan, 1980, et plus récemment, les travaux de D. Meda, P. Viveret et divers auteurs mentionnés ci-dessous.
(3) S. Latouche, auteur le plus connu du mouvement de la décroissance, reconnaît lui-même que le mot « décroisssance » n’est qu’un slogan, et que l’idée appropriée serait plutôt celle d’«a-croissance».
(4) Pour suivre (sous réserve d’éventuelles modifications de dernière minute) :
. «Economie. Ce qui compte et ce que l'on compte.» (Isabelle Cassiers et Géraldine Thiry),
. «Economie. Dégrippons la boussole!» (Isabelle Cassiers)...

mercredi 21 avril 2010

Economie. La croissance ne fait pas le bonheur.




Pour l'économiste Isabelle Cassiers, les choix sont clairs face à la crise systémique en cours.
Relancer coûte que coûte la croissance, ce serait ignorer les défis environnementaux, la montée des inégalités et les raisons d’une stagnation de la satisfaction de vie.
Il faut donc soumettre le «cap croissance» à la question.
Histoire de repenser un modèle défaillant.
Waw ! Des prof’ comme ça, on en redemande…
Isabelle Cassiers (1)

(Cette contribution, qui a fait l’objet d’une première publication
dans la Revue Nouvelle en mars 2009 (n°3, pp. 53-61),
est présentée sur ce blog en trois parties, dont voici la première.
Les titre, chapeau et intertitres sont de la rédaction.
Source du graphique: I. Cassiers et C. Delain, «La croissance ne fait pas le bonheur, les
économistes le savent-ils
?», Regards économiques, mars 2006, n°38)

Depuis plus de soixante ans, les pays dits «développés» tiennent ou s’efforcent de tenir le cap d’une croissance économique continue, mesurée à l’aide de la comptabilité nationale et de son concept englobant, le PIB (produit intérieur brut).
La crise financière de 2008-2009 et les bouleversements qui s’en suivent suscitent deux types de réactions contrastées.
. Le premier est une tentative de relancer coûte que coûte la machine économique - éviter les faillites bancaires, la récession, le chômage, la contraction des échanges internationaux - en maintenant le «cap croissance», sans autre débat sur le contenu de cette dernière.
. Le deuxième fait valoir qu’en dépit des difficultés que produit la crise, celle-ci offre une opportunité de changer de cap, afin de relever les défis environnementaux et sociaux trop longtemps ignorés et d’aller à la rencontre des aspirations les plus profondes des populations.
Cette deuxième option semble légitimée par la stagnation de la satisfaction de vie au sein des pays riches depuis plusieurs décennies, malgré la croissance continue du PIB. Sans doute a-t-on trop longtemps assimilé croissance de l’activité marchande et augmentation du bien-être, ignorant ou oubliant les limites et l’objet même de la comptabilité nationale. Celle-ci, conçue au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, apparaît aujourd’hui comme un outil historiquement daté et dépassé, face aux problèmes et besoins du XXIe siècle. S’il s’agit de répondre à de nouveaux problèmes et aspirations, les outils comptables et les indicateurs doivent être réajustés. En effet, comment le navire pourrait-il changer de cap si tous les outils de navigation restent fixés sur l’ancien objectif?

Troublant contraste

En Belgique comme dans la plupart des pays européens, le pouvoir d’achat par habitant (équivalent du PIB réel par personne) a augmenté de 80 % entre 1973 et 2005 (voir courbe "PIB" du graphique du dessus).
Pendant cette même période, la satisfaction de vie moyenne a diminué de 8,8 % en Belgique et stagné presque partout ailleurs (voir courbe "SV" du même graphique).
Ce deuxième indicateur est de nature subjective: il provient d’enquêtes où les personnes interrogées répondent à la question «Êtes-vous globalement satisfait de votre vie?» par un chiffre allant de un (très insatisfait) à quatre (très satisfait).
Les deux courbes sont des moyennes et cachent forcément des disparités, petites ou grandes, au sein de la population. Il n’empêche que le contraste des deux évolutions est troublant. La croissance économique n’est-elle pas généralement présentée comme un moyen d’atteindre plus de bien-être, qu’il soit matériel (logement, équipement, voiture, vêtements) ou immatériel (loisirs, services, éducation, culture), et par là une satisfaction de vie accrue?
On serait tenté de croire que le hiatus provient des déséquilibres et incertitudes qui ont marqué les trois dernières décennies, consécutives aux chocs pétroliers. Il n’en est rien, car ce même contraste apparaît en longue période, là où les données sont disponibles, et était donc déjà présent durant les Trente glorieuses (1945-1975) dont certains sont aujourd’hui nostalgiques.
Comment expliquer ce contraste? En appui des réponses de bon sens qui peuvent venir à l’esprit, nous avons voulu parcourir et résumer la littérature scientifique sur le sujet (2). Les explications qu’on y trouve peuvent être classées en deux familles: toute richesse est relative et la richesse n’est pas tout.

Toute richesse est relative

Croire que la croissance économique peut apporter une augmentation continue de la satisfaction de vie, c’est tout d’abord oublier que l’évaluation de ce dont nous disposons est toujours relative.
La première forme de relativité tient à l’évolution de nos normes dans le temps. Plus nous acquérons de confort, plus nous nous y habituons. La 2CV ou autre voiture de base que nous prenions autrefois pour un bien de luxe peut sembler très poussive quelques années plus tard.
Une deuxième forme de relativité provient de la comparaison sociale. Il est plus difficile de se contenter d’une 2CV ou d’une Trabant si les routes se peuplent de voitures plus rapides, plus robustes et parées de mille atours. Lorsque tout le monde s’équipe d’un téléphone portable ou d’un ordinateur, ne pas en posséder, c’est être hors du coup. Ainsi est-on embarqué dans la logique du keep up with the Joneses, dans une course de lévrier où le chien (consommateur) ne rattrape jamais le lapin mécanique (objet du désir).
La publicité exploite ces deux tendances humaines et permet la croissance des ventes sans augmentation correspondante de la satisfaction. (3)

La richesse n’est pas tout

Par ailleurs, la richesse n’est pas tout.
La satisfaction de vie - terme sans doute moins ambitieux que celui de bonheur - dépend de bien d’autres facteurs. Le bon sens nous le suggère, les études scientifiques le confirment.
Celles-ci relèvent une variété d’ingrédients d’une vie satisfaisante et tentent d’en mesurer l’importance. On peut les classer en six groupes, sans que la liste soit exhaustive:
. sentiment d’appartenance à une société juste et suffisamment égalitaire;
. possibilité pour chacun d’obtenir un emploi de qualité;
. vie en bonne santé;
. relations familiales et sociales harmonieuses;
. confiance dans (et participation à) l’organisation démocratique;
. qualité de l’environnement.
A contrario, le grippage de l’un ou l’autre de ces facteurs peut entraîner de réelles dégradations de la satisfaction de vie.

Les liens entre ces sources de bien-être d’une part et la croissance économique d’autre part sont ambivalents.
Si les Trente glorieuses ont apporté une homogénéisation des conditions de vie au sein des pays riches, la croissance des décennies suivantes s’est au contraire accompagnée d’une hausse des inégalités, parfois très marquée.
. En Europe, la croissance n’a pas tenu ses promesses de résorption du chômage. En outre les emplois créés semblent aujourd’hui plus précaires ou plus stressants, par la pression toujours accrue de la concurrence, de la nécessité de rendement et des nouvelles formes de management.
. Le secteur des soins de santé ne peut se passer de croissance pour son financement, mais de nombreuses maladies proviennent des effets secondaires de notre mode d’activité économique: cancers, accidents de la route, problèmes cardio-vasculaires, hypertension, excès de stress, dépression.
. La croissance a permis l’augmentation de notre temps de loisir, mais elle a simultanément détruit certains éléments nécessaires à la qualité des relations familiales et sociales, notamment par la place accordée à la télévision ou aux jeux vidéo, par le temps passé dans les embouteillages, par l’éclatement des centres urbains.
. Un certain niveau d’aisance matérielle semble favorable à l’organisation d’une société démocratique, mais la diffusion par la publicité d’une mentalité très matérialiste semble amollir le sens civique et éloigner le citoyen de l’activité politique.
. Enfin, si certains espèrent que de nouvelles inventions financées par l’aiguillon de la croissance nous épargneront une catastrophe écologique, il est indéniable que la menace de celle-ci soit le triste fruit de notre activité économique.
On le voit, les raisons sont nombreuses de douter de la capacité de la croissance économique — telle qu’elle se poursuit et telle qu’elle se mesure — à nous rendre globalement et collectivement plus heureux ou satisfaits de notre vie. (4)

Isabelle Cassiers

(1) Professeur à l’UCL et chercheur qualifiée du FNRS, Isabelle Cassiers est aussi membre de l’Institut pour un développement durable (IDD) et du Forum pour d’autres indicateurs de richesse (FAIR ).
(2) Les paragraphes ci-dessous résument une publication plus détaillée : I. Cassiers et C. Delain, «La croissance ne fait pas le bonheur, les économistes le savent-ils ?», Regards économiques, n° 38, 2006, reprise ultérieurement dans Problèmes économiques, n° 2938, 2 janvier 2008. (www.uclouvain.be/regards-economiques>.)
(3) Voir à ce sujet les travaux de Christian Arnsperger, notamment Critique de l’existence capitaliste, Cerf, Paris, 2005.
(4) Pour suivre.
. «Economie. Changer de cap.» (Isabelle Cassiers),
. «Economie. Ce qui compte et ce que l'on compte.» (Isabelle Cassiers et Géraldine Thiry),
. «Economie. Dégrippons la boussole!» (Isabelle Cassiers)...

mercredi 14 avril 2010

Economie. Décroissants au petit déjeuner.



Du journal parlé matinal
aux propos
de café vespéraux,
la décroissance est partout.

Mais de quoi parle-t-on exactement ?


Christophe Engels



Elle est sur toutes les lèvres un tant soit peu intellectuelles et associatives.
Et, de là, elle se fait sa petite place médiatique.
La décroissance est partout.
Mais que l’on creuse un tout petit peu sous la surface et un constat, trop souvent, de se faire jour: cette notion est ambiguë.
D’où l’urgence d’un questionnement: à quelle réalité fait-on référence?
. A la décroissance de l’empreinte écologique, qui renvoie à l’impact de mon mode de vie sur la planète?
. A celle du Produit Intérieur Brut (PIB) qui mesure la richesse marchande (1)?
. A une autre encore?
Tranchons dans le vif. Puisqu’il semble bien que le concept en question trouve son intérêt majeur dans la deuxième de ces options sémantiques, misons sur celle-ci. Nous aurons ainsi commencé à cadrer le sujet.
Commencé seulement. Car l’ambiguïté n’aura ainsi été dissipée que partiellement. Restera en effet une série de réponses à apporter.
. La décroissance suppose-t-elle nécessairement un indicateur de croissance négatif (en dessous de zéro)?
. Ou bien englobe-t-elle également l’idée d’un simple ralentissement?
. Autrement écrit, l’exemple d’une évolution de la croissance du PIB de «+ 2» à «+ 1» illustre-t-il un cas de décroissance?
. Et quid de la «croissance» zéro?

Flou... amphigourique ! ( 2)

Ambiguïté. Ambiguïté encore. Ambiguïté toujours…
C’est que le terme n’a rien de rigoureusement académique. De l’aveu même de l'un de ses principaux promoteurs, Serge Latouche (3), il relève au contraire du slogan, de la provocation, du «mot-obus». Le but du jeu? Interpeller le commun des mortels, sensibiliser le citoyen, pulvériser la pensée économiste dominante. Objectif «com’», donc, plus encore qu’objectif économique, la croissance négative du PIB n’étant pas nécessairement visée en tant que telle.
«La décroissance n’est pas la croissance négative, confirme le Français. Il conviendrait de parler d’«a-croissance», comme on parle d’athéisme. C’est d’ailleurs très précisément de l’abandon d’une foi ou d’une religion (celle de l’économie, du progrès et du développement) qu’il s’agit.» (3).
Nous voilà donc renseigné. La décroissance, dans ce cas, ne peut avoir d’autre objet que celui de s’attaquer au «toujours plus».

Ses quatre vérités

Il paraît judicieux, dans ces conditions, de nous risquer à proposer une dénomination adaptée à chacun des quatre objectifs possibles…
. L’«hyper-croissance», ce serait le but de la fameuse «obsession de croissance», appréhendée comme un impératif absolu et jamais réellement satisfait. La croissance, oui. Mais pas n’importe laquelle. La croissance pour la croissance. La croissance à tout prix. La croissance maximalisée. La croissance infinie, illimitée, obsessionnelle.
. La «(simple) croissance» renverrait au résultat d’un indicateur PIB en positif. Croissance impérative, certes, mais aussi limitée, régulée, relativisée.
. L’«a-croissance», ce serait une décroissance relative. C’est-à-dire la visée d’un refus opposé à l’hyper-croissance, d’un veto dressé à l’encontre de l'«obsession de croissance». Une version «légère» de l’«objection de croissance» en quelque sorte. Qui n’aurait rien de nécessairement incompatible avec la (simple) croissance.
. La «décroissance (absolue)», enfin, ramènerait à l’impératif d’un indicateur PIB en négatif. Soit une interprétation «lourde» de l’«objection de croissance». Qui, loin de se contenter de diaboliser l’hyper-croissance, refuserait aussi toute «compromission» avec la (simple) croissance.

Grand écart

Reste que si une telle conceptualisation permettrait sans doute de clarifier le débat, elle ne suffirait certainement pas à accorder tous les points de vue.
Dans les milieux de la simplicité volontaire (4) par exemple, deux écoles n’ont manifestement pas fini de s’opposer en la matière.
. Celle de la décroissance (absolue) prônée, en Belgique, par un Ezio Gandin (président de l’association «Les Amis de la Terre») ou par un Pierre Pradervand (initiateur des ateliers «Vivre autrement»).
. Celle de l’a-croissance (décroissance relative, donc) portée par une Isabelle Cassiers (économiste UCL), qui souligne que les services interviennent à concurrence de deux tiers dans le PIB.
Le milieu du développement durable, en revanche, ferait plutôt le grand (mais sans doute plus conciliable) écart entre les approches spécifiques de la (simple) croissance et de l’a-croissance pour rencontrer l’objectif qu’on lui connaît: satisfaire «aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs.» (5).
Cette famille de pensée - sur laquelle on aura l’occasion de revenir - semble donc plus unanime que la précédente dans le choix de concilier ses priorités propres avec la croissance économique qui fonde le traditionnel modèle de développement occidental.
De quoi faire écrire à Emeline De Bouver (6): «La simplicité volontaire est régulièrement assimilée au développement durable alors que, dans ses principes, elle y est plutôt opposée puisqu’elle défend une philosophie de la décroissance ou de l’a-croissance.» (7)

Christophe Engels

(1) Sur les notions de PIB et de croissance, on lira avec grand intérêt les passionnants commentaires de l’économiste Isabelle Cassiers (UCL). Prochainement sur ce blog.
(2) «Amphigourique» : embrouillé, inintelligible.
(3) Latouche Serge, Petit traité de la décroissance sereine, Édition Mille et une nuits, Paris, 2007.
(4) Voir nos précédents commentaires.
(5) Commission Mondiale sur l’Environnement et le Développement, Notre avenir à tous, Québec, éditions du Fleuve, p.51.
(6) De Bouver Emeline, Moins de biens, plus de liens. La simplicité volontaire. Un nouvel engagement social, Couleur Livres, Charleroi, 2008, p.42.
(7) Pour suivre (sous réserve d’éventuelles modifications de dernière minute) :
. «Economie. Changement de cap.» (Isabelle Cassiers),
. «Economie. Le tri de la croissance.» (Isabelle Cassiers),
. «Economie. Ce qui compte et ce que l'on compte.» (Isabelle Cassiers et Géraldine Thiry),
. «Economie. Dégrippons la boussole!» (Isabelle Cassiers)...

samedi 10 avril 2010

Altermondialisme. Feu ce... très cher capitalisme !















La caractéristique première du capitalisme ? Il mise d’abord et avant tout sur l’accumulation illimitée du capital. Tel est l’avis de l’altermondialiste américain Immanuel Wallerstein. Qui ajoute que les possibilités d’une telle accumulation ont atteint leurs limites. Et annonce la fin imminente de ce... très cher système économique !

Immanuel Wallerstein (1)


Au sein du capitalisme, tout producteur supporte trois coûts principaux: il doit
. rémunérer son personnel,
. acheter sa matière première,
. payer les impôts prélevés par les structures étatiques.
Or, ces coûts ayant grimpé régulièrement tout au long de l’histoire du système en question et encore davantage au cours des cinquante dernières années, ils ont désormais atteint des niveaux excessifs au regard des possibilités du marché. Désormais, ils commencent en effet à tirer les prix de vente au-delà de ce que le consommateur est prêt à débourser.
Prenons l’exemple de la main d’œuvre. Le petit personnel se syndicalisant toujours davantage, l’employeur a réagi en allant voir ailleurs. Mais il s’est retrouvé confronté à un autre problème: celui des cadres. Dont le nombre et la rémunération ont considérablement augmenté. Les actionnaires ont-ils tenté de contrer ces dynamiques ? Pas du tout. Ils ont au contraire laissé faire. Car leur pouvoir au sein de l’entreprise est extrêmement limité. Ils ne ramassent que les miettes…

Noir, impairs et… impasse !

Cet exemple ne fait qu’illustrer un constat beaucoup plus global. Celui d’une triple impasse…
. D’abord, un processus arrive en fin de course, qui consiste à aller chercher toujours plus loin du travail moins coûteux.
. Ensuite, un phénomène de fuite en avant est en train de s'épuiser, qui consiste à «externaliser» les coûts sociaux et environnementaux de la production en abandonnant à la collectivité les coûts liés aux infrastructures collectives et à la gestion des déchets. Avec, d’ailleurs, tous les effets pervers de ce mode de fonctionnement: pollution, épuisement des ressources naturelles...
. Enfin, la démocratisation de la société a débouché sur une série de droits acquis et autres avantages sociaux (santé, éducation, retraite…) auxquels plus personne n’entend renoncer.
Au bout du compte, le système a pris trop de distance avec son point d’équilibre, finissant ainsi par perdre la stabilité qui tendait toujours à l’orienter dans le sens du déterminisme et à limiter ses excès.
Il a bien tenté, dans un premier temps, de redresser la barre en recourant au libre arbitre d’un libéralisme radical pour s'affranchir au maximum des entraves de la régulation. Mais ce palliatif a vite révélé toutes ses limites. Il n’a pas réussi à empêcher les coûts de poursuivre leur irrésistible ascension vers de mortifères sommets. Et le constat de se dresser devant nous, accablant: la courte période néolibérale qui est en train de s’achever a failli à sa tâche. L’inversion de tendance qu’elle a générée s’est révélée aussi provisoire qu’imparfaite. Donc insuffisante…

Pour le meilleur ou pour le pire… ?

Voilà pourquoi, de nos jours, les opposants au capitalisme ne sont plus les seuls à chercher une solution de rechange.
A l’intérieur même du clan de ses défenseurs, les plus intelligents ont compris l’enjeu de la crise actuelle: le rythme d’accumulation envisageable a fléchi au point que leur participation au système ne se justifie plus.
D’où leur propre quête d’alternative.
La seule différence entre les candidats «issus de l’opposition» et leurs adversaires de la «majorité sortante», c’est que les premiers désirent un système de remplacement plus démocratique et égalitaire, alors que les seconds souhaitent poursuivre sur le chemin d’une hiérarchie et d’une inégalité susceptibles de leur conserver les privilèges du passé.
C’est en ce sens, et en ce sens-là seulement, que la messe n’est pas encore dite.
Par rapport au monde qui vit actuellement ses ultimes instants, celui qui adviendra peut aussi bien se révéler plus perméable aux dérives de l’exploitation et de la violence que plus en phase avec les revendications progressistes et égalitaires. (2)(3)

Immanuel Wallerstein


(1) L’Américain Immanuel Wallerstein est historien, sociologue et économiste. Il a enseigné à l’Université Columbia (New York), à l’Université McGill (Montréal) et à l’Université de Birmingham (New York). Il travaille aujourd’hui pour l’Université de Yale et pour la Maison des Sciences de l’Homme (Paris). Il a notamment écrit Comprendre le monde. Introduction à l’analyse des systèmes-monde, La Découverte, Flammarion, Paris, 2006.
(2) Suite et fin du compte-rendu de la conférence donnée par Immanuel Wallerstein, le 4 mars 2010, à l’Université Libre de Bruxelles, dans le cadre du cycle «Cultures d’Europe». En cas d’intérêt, on se référera utilement à l’interview préalablement accordé par l’intéressé au quotidien Le Soir pour parution le même jour («Le système capitaliste est en phase terminale», Forum, p.16).
(3) Pour suivre (sous réserve d'éventuels changements de dernière minute) :
. «Economie. Décroissance au petit déjeuner…» (Christophe Engels),
. «Economie. Changement de cap.» (Isabelle Cassiers),
. «Economie. Le tri de la croissance.» (Isabelle Cassiers),
. «Economie. Ce qui compte et ce que l'on compte.» (Isabelle Cassiers et Géraldine Thiry),
. «Economie. Dégrippons la boussole!» (Isabelle Cassiers)...

jeudi 8 avril 2010

Altermondialisme. Ci-gît le capitalisme…











Le capitalisme est-il en train d’agoniser sous nos yeux ?
L’Américain Immanuel Wallerstein n’en doute pas une seule seconde.
Pour cet universitaire aussi écouté dans les enceintes académiques que dans les milieux altermondialistes, l’heure n’est plus à se demander si notre système économique a un avenir.
Il s’agit carrément de se préparer à sa succession...

Immanuel Wallerstein (1)


« Le capitalisme est un système de contre-marché », expliquait déjà l’historien français Fernand Braudel (2). Il n’est donc pas un système de marché. Et pour cause : la concurrence parfaite anéantit le profit. Seule une situation de monopole permet d’accumuler du capital.
Or, tel est bel et bien le but essentiel du capitalisme.
Comment, en effet, le définir autrement que par cette caractéristique fondamentale ?
Par la présence de producteurs qui vendent sur un marché afin de dégager du profit ?
Par l’existence d'un salariat ?
De telles approches ne tiendraient pas la route.
Car tout cela existait déjà dans la seconde moitié du XVIe siècle.
C’est-à-dire avant même l’apparition du capitalisme…
On ne peut donc parler à bon droit de celui-ci que dans le cas où un système se concentre prioritairement sur l’objectif d’une accumulation illimitée du capital.
Avec, dans la foulée, l’apparition d’une série de mécanismes structurels aux effets pénalisants pour tout qui entend suivre une autre logique.

Tricycle capitaliste…

L’économiste russe Nikolaï Kondratiev (3) parlait de cycles longs qui ponctuent la conjoncture des pays capitalistes et voient s’alterner des phases d’une durée de 25 à 30 ans successivement marquées par une hausse, par une stagnation, puis par une baisse de l’activité économique…
. La phase 1 se caractérise par une situation de quasi-monopole. Elle correspond, sur le plan micro-économique, à la mise sur le marché d’un produit par une entreprise.
. La phase 2 renvoie à un contexte de concurrence. A ce stade, le prix du produit en question commence à diminuer. Et sa marge bénéficiaire tout autant. Sa commercialisation se fait donc de moins en moins intéressante. L’entreprise tend alors à sabrer dans les coûts de transaction et de personnel. Et le capitalisme de « changer son fusil d’épaule ». En délocalisant tout d’abord. Puis en cherchant à faire du profit financier.
Ce deuxième cycle n’a rien d’anormal. Il s’inscrit dans la logique du système. En son sein, une hégémonie réelle est toujours provisoire. D’où une perpétuelle impermanence. Celle-ci se retrouve d’ailleurs sur le plan géopolitique. Quand une puissance peut se prévaloir d’un quasi-monopole, elle en arrive systématiquement, un jour ou l’autre, à céder aux sirènes de l’utilisation de la force militaire. Ce qui, paradoxalement, ne peut que lui être préjuduciable. Car cette force tend toujours à s’auto-détruire. Pour une simple et bonne raison : dès qu’il se décide à mettre ses menaces à exécution, un pouvoir politique en vient à montrer qu’il est moins efficace que préalablement escompté.
. Mais revenons à nos moutons spécifiquement économiques. Et plus particulièrement au troisième cycle de Kondratiev. Qui, pour les Occidentaux que nous sommes et en ce début de XXIe siècle qui est le nôtre, est marqué de caractéristiques aussi singulières qu’irrémédiables…

Diagnostic fatal

C’est ce que j’appelle une crise. Entendons-nous bien. Je n’utilise pas ce terme dans le sens galvaudé qui est si souvent le sien. Il ne s’agit pas ici de qualifier une période simplement difficile de la vie du système capitaliste. Non ! Quand je parle de crise, c’est pour désigner quelque chose qui arrive à une seule et unique reprise dans l’histoire d’un système.
Ma crise à moi n’a donc rien de conjoncturel. Elle est bel et bien structurelle. Elle désigne l’apparition de difficultés rédhibitoires. Qu’il n’est plus possible de résoudre dans le cadre du système. Et qui contraignent donc à le dépasser. Il se produit alors ce que les physiciens appellent une « bifurcation ». Les fluctuations deviennent violentes. La situation vire au chaos. Et les problèmes se font incontrôlables. Jusqu’à forcer l’ouverture d’une période de transition.
C’est à un tel stade que se situe le capitalisme. Après cinq siècles de – plus ou moins – bons et loyaux services, le « système-monde » capitaliste, se retrouve en phase terminale. Il touche à sa fin… (4)(5)

Immanuel Wallerstein


(1) L’Américain Immanuel Wallerstein est historien, sociologue et économiste. Il a enseigné à l’Université Columbia (New York), à l’Université McGill (Montréal) et à l’Université de Birmingham (New York). Il travaille aujourd’hui pour l’Université de Yale et pour la Maison des Sciences de l’Homme (Paris). Il a notamment écrit Comprendre le monde. Introduction à l’analyse des systèmes-monde, La Découverte, Flammarion, Paris, 2006.
(2) 1902-1985.
(3) 1892-1938 .
(4) Première partie du compte-rendu de la conférence donnée par Immanuel Wallerstein, le 4 mars 2010, à l’Université Libre de Bruxelles, dans le cadre du cycle « Cultures d’Europe ». En cas d’intérêt, on se référera utilement à l’interview préalablement accordé par l’intéressé au quotidien Le Soir pour parution le même jour («Le système capitaliste est en phase terminale», p.16).
(5) Pour suivre (sous réserve d'éventuels changements de dernière minute) :
. « Altermondialisme. Feu le capitalisme… » (Immanuel Wallerstein),
. « Economie. Décroissance au petit déjeuner… » (Christophe Engels),
. « Economie. Changement de cap. » (Isabelle Cassiers),
. « Economie. Le tri de la croissance. » (Isabelle Cassiers),
. « Economie. Ce qui compte et ce que l'on compte. » (Isabelle Cassiers et Géraldine Thiry),
. « Economie. Dégrippons la boussole! » (Isabelle Cassiers)...

mercredi 7 avril 2010

Altermondialisme. Appel au Bien commun.

Vibrant appel que celui de l’altermondialiste François Houtart. Appel à propositions pour sortir de crise par le haut. Appel à alternatives... concrètement utopiques. Appel à Déclaration universelle du Bien commun de l’Humanité

François Houtart (1)


Je vous l’écrivais dans ma précédente intervention: un appel est lancé pour que les propositions concrètes soient rassemblées en un ensemble cohérent d’alternatives.
Elles constitueront l’objectif collectif de l’humanité et les applications d’une Déclaration universelle du Bien commun de l’Humanité par l’Assemblée générale des Nations unies.
En effet, au même titre que la Déclaration universelle des Droits de l’Homme proclamée par les Nations unies, une Déclaration universelle du Bien commun de l’Humanité pourrait jouer ce rôle.

Compléter les Droits de l'Homme

Certes, les Droits de l’Homme ont connu un long parcours entre les Révolutions française et américaine et leur adoption par la communauté internationale.
Le processus fut aussi progressif avant de proclamer la troisième génération des droits, incluant une dimension sociale.
Très occidental dans ses perspectives, le document fut complété par une Déclaration africaine et par une initiative similaire du Monde arabe.
Sans aucun doute, la Déclaration est souvent manipulée en fonction d’intérêts politiques, notamment par les puissances occidentales. Mais elle reste une référence de base, indispensable à toute légitimité politique et une protection pour les personnes. Aujourd’hui elle doit être complétée, car c’est la survie de l’humanité et de la planète qui est en jeu.

Dépasser le capitalisme

Une chose est certaine : la sortie de crise ne pourra se faire sans abandonner les paramètres de l’économie capitaliste et redéfinir les concepts de croissance, de développement et de prospérité.
La traduction de ceux-ci dans les pratiques collectives et individuelles sera le résultat de nombreuses luttes sociales, du travail des intellectuels et des valeurs morales injectées dans la vie sociale.
C’est aussi un impératif pour tous ceux qui se réfèrent au christianisme. (2)(3)

François Houtart


(1) Né à Bruxelles en 1925, le Belge François Houtart est prêtre, sociologue et militant de la cause du Tiers-Monde. Il a fondé la revue «Alternatives Sud» ainsi qu'un centre d'étude, de publication, de documentation et d'éducation permanente sur le développement et les rapports Nord-Sud : le «Centre Tricontinental» (CETRI) de Louvain-la-Neuve (www.cetri.be).
(2) Cette contribution est une reprise partielle de l’allocution prononcée le 17 avril 2009 à la Semaine Sociale du Mouvement Ouvrier Chrétien (MOC) (www.moc.be). Les titre, chapeau et intertitres sont de la rédaction.
(3) Pour suivre (sous réserve d'éventuels changements de dernière minute):
. «Altermondialisme. Ci-gît le capitalisme.» (Immanuel Wallerstein),
. «Altermondialisme. Feu le capitalisme…» (Immanuel Wallerstein),
. «Economie. Décroissance au petit déjeuner…» (Christophe Engels),
. «Economie. Changement de cap.» (Isabelle Cassiers),
. «Economie. Le tri de la croissance.» (Isabelle Cassiers),
. «Economie. Ce qui compte et ce que l'on compte.» (Isabelle Cassiers et Géraldine Thiry),
. «Economie. Dégrippons la boussole!» (Isabelle Cassiers)...

lundi 5 avril 2010

Altermondialisme. Utopie appliquée…


L’utopie est synonyme d’inspiration et créatrice de cohérence. Tel est l’avis de François Houtart. Qui se refuse à en rester au stade des vœux pieux. Propositions d’applications plus concrètes à l’appui…

François Houtart (1)


- Un usage renouvelable et rationnel des ressources naturelles,
- un privilège accordé à la valeur d’usage sur la valeur d’échange,
- une généralisation de la démocratie au monde de l'économie,
- la construction d'alternatives inspirées de tous les savoirs :
tels étaient donc les quatre principes auxquels je proposais de faire appel dans ma précédente contribution à ce blog.
L’adoption de ces principes permettrait d’engager un processus alternatif réel face aux règles qui président actuellement au déroulement de l’économie capitaliste, à l’organisation politique mondiale et à l’hégémonie culturelle occidentale et qui entraînent les conséquences sociales et naturelles que nous connaissons aujourd’hui.

Grandes orientations

Les principes exprimés débouchent sur de grandes orientations qu’il est possible d’esquisser.
- En effet, il est clair que le respect de la nature exige le contrôle collectif des ressources. Il demande aussi de constituer en patrimoine de l’humanité, les plus essentielles à la vie humaine (l’eau, les semences…), avec toutes les conséquences juridiques que cela entraîne. Il signifierait également la prise en compte des «externalités» écologiques dans le calcul économique.
- Privilégier la valeur d’usage exige une transformation du système de production, aujourd’hui centré prioritairement sur la valeur d’échange, afin de contribuer à l’accumulation du capital considéré comme le moteur de l’économie. Cela amène à la remise en place des services publics, y compris dans les domaines de la santé et de l’éducation, c’est-à-dire leur non marchandisation.
- Généraliser la démocratie, notamment dans l’organisation de l’économie, suppose la fin d’un monopole des décisions lié à la propriété du capital, mais aussi la mise en route de nouvelles formes de participation constituant les citoyens en sujets.
- Accepter la multiculturalité dans la construction des principes exprimés signifie ne pas réduire la culture à une seule de ses composantes et permettre à la richesse du patrimoine culturel humain de s’exprimer, de mettre fin aux brevets monopolisant les savoirs et d’exprimer une éthique sociale dans les divers langages.

Applications concrètes...

Utopie ! Oui, car cela n’existe pas aujourd’hui, mais pourrait exister demain. Utopie nécessaire, car synonyme d’inspiration et créatrice de cohérence dans les efforts collectifs et personnels. Mais aussi applications très concrètes, sachant que changer un modèle de développement ne se réalise pas en un jour et se construit par un ensemble d’actions, avec un déroulement dans le temps divers. Alors comment proposer des mesures s’inscrivant dans cette logique et qui pourraient faire l’objet de mobilisations populaires et de décisions politiques? Bien des propositions ont déjà été faites, mais on pourrait en ajouter d’autres.
- Sur le plan des ressources naturelles, un pacte international sur l’eau, prévoyant une gestion collective (pas exclusivement étatique) correspondrait à une conscience existante de l’importance du problème. Quelques autres orientations pourraient être proposées :
. la souveraineté des nations sur leurs ressources énergétiques;
. l’interdiction de la spéculation sur les produits alimentaires;
. la régulation de la production des agrocarburants en fonction du respect de la biodiversité, de la conservation de la qualité des sols et de l’eau et du principe de l’agriculture paysanne;
. l’adoption des mesures nécessaires pour limiter à un degré centigrade l’augmentation de la température de la terre au cours du XXIe siècle;
. le contrôle public des activités pétrolières et minières, au moyen d’un code d’exploitation international vérifié et sanctionné, concernant les effets écologiques et sociaux (entre autres les droits des peuples indigènes).
- A propos de la valeur d’usage, des exemples concrets peuvent également être donnés. Il s’agirait de
. rétablir le statut de bien public, de l’eau, de l’électricité, de la poste, des téléphones, de l’Internet, des transports collectifs, de la santé, de l’éducation, en fonction des spécificités de chaque secteur;
. exiger une garantie de cinq ans sur tous les biens manufacturés, ce qui permettrait d’allonger la vie des produits et de diminuer l’utilisation de matières premières et de l’énergie;
. mettre une taxe sur les produits manufacturés voyageant sur plus de 1000 km entre leur lieu de production et le consommateur (à adapter selon les produits) et qui serait attribuée au développement local des pays les plus fragiles;
. renforcer les normes du travail établies par l’OIT, sur la base d’une diminution du temps de travail et de la qualité de ce dernier;
. changer les paramètres du PIB, en y introduisant des éléments qualitatifs traduisant l’idée du «bien vivre».
- Les applications de la démocratie généralisées sont innombrables et pourraient concerner toutes les institutions qui demandent un statut reconnu publiquement, tant pour leur fonctionnement interne que pour l’égalité dans les rapports de genre: entreprises, syndicats, organisations religieuses, culturelles, sportives. Sur le plan de l’Organisation des Nations unies, on pourrait proposer la règle des deux tiers pour les décisions de principe et de la majorité absolue pour les mesures d’application.
- Quant à la multiculturalité, elle comprendrait, entre autres,
. l’interdiction de breveter les savoirs traditionnels;
. la mise à disposition publique des découvertes liées à la vie humaine (médicales et pharmaceutiques);
. l’établissement des bases matérielles nécessaires à la survie des cultures particulières (territorialité).

Reste à rassembler ces propositions concrètes en un ensemble cohérent d’alternatives.
D'où l'appel qui est lancé en ce sens. Et que je préciserai dans mon prochain message… (2)(3)

François Houtart


(1) Né à Bruxelles en 1925, le Belge François Houtart est prêtre, sociologue et militant de la cause du Tiers-Monde. Il a fondé la revue «Alternatives Sud» ainsi qu'un centre d'étude, de publication, de documentation et d'éducation permanente sur le développement et les rapports Nord-Sud : le «Centre Tricontinental» (CETRI) de Louvain-la-Neuve (www.cetri.be).
(2) Cette contribution est une reprise partielle de l’allocution prononcée le 17 avril 2009 à la Semaine Sociale du Mouvement Ouvrier Chrétien (MOC) (www.moc.be). Le chapeau et les intertitres sont de la rédaction.
(3) Pour suivre (sous réserve d'éventuels changements de dernière minute):
. «Altermondialisme. Appel au Bien commun.» (François Houtart),
. «Altermondialisme. Ci-gît le capitalisme.» (Immanuel Wallerstein),
. «Altermondialisme. Feu le capitalisme…» (Immanuel Wallerstein),
. «Economie. Décroissance au petit déjeuner…» (Christophe Engels),
. «Economie. Changement de cap.» (Isabelle Cassiers),
. «Economie. Le tri de la croissance.» (Isabelle Cassiers),
. «Economie. Ce qui compte et ce que l'on compte.» (Isabelle Cassiers et Géraldine Thiry),
. «Economie. Dégrippons la boussole!» (Isabelle Cassiers)...

jeudi 1 avril 2010

Clés altermondialistes pour le changement


Ne rien changer ? Procéder à un simple ravalement de façade ? Ou trouver des alternatives authentiques ? Entre ces trois options, le cœur de François Houtart ne balance absolument pas. Place au changement ! Et plutôt quatre fois qu’une… (1)

François Houtart (2)


Face à la crise financière qui affecte l’ensemble de l’économie mondiale et se combine avec une crise alimentaire, énergétique et climatique, pour déboucher sur un désastre social et humanitaire, diverses réactions se profilent à l’horizon. Certains proposent de punir et de changer les acteurs (les voleurs de poules, comme dit Michel Camdessus, l’ancien directeur du FMI) pour continuer comme avant. D’autres soulignent la nécessité de réguler le système, mais sans changer les paramètres, comme George Soros. Enfin, il y a ceux qui estiment que c’est la logique du système économique contemporain qui est en jeu et qu’il s’agit de trouver des alternatives.
L’urgence de solutions est le défi majeur. Il ne reste plus beaucoup de temps pour agir efficacement sur les changements climatiques.
Au cours des deux dernières années, selon la FAO, 100 millions de personnes ont basculé sous la ligne de pauvreté, le besoin impératif de changer de cycle énergétique est à nos portes. Une multitude de solutions alternatives existent, dans tous les domaines, mais elles exigent une cohérence pour garantir leur efficacité ; non pas un nouveau dogme, mais une articulation.

Du respect pour Dame nature !

La vision de long terme peut s’articuler autour de quelques axes majeurs.
En premier lieu, un usage renouvelable et rationnel des ressources naturelles, ce qui suppose une autre philosophie du rapport à la nature : non plus l’exploitation sans limite d’une matière, en l’occurrence objet de profit, mais le respect de ce qui forme la source de la vie. Les sociétés du socialisme dit réel, n’avaient guère innové dans ce domaine.

Valeur d’usage ajoutée

Ensuite, privilégier la valeur d’usage sur la valeur d’échange, ce qui signifie une autre définition de l’économie : non plus la production d’une valeur ajoutée, source d’accumulation privée, mais l’activité qui assure les bases de la vie, matérielle, culturelle et spirituelle de tous les êtres humains à travers le monde. Les conséquences logiques en sont considérables. A partir de ce moment, le marché sert de régulateur entre l’offre et la demande au lieu d’accroître le taux de profit d’une minorité. Le gaspillage des matières premières et de l’énergie, la destruction de la biodiversité et de l’atmosphère, sont combattus, par une prise en compte des «externalités» écologiques et sociales. Les priorités dans la production de biens et de services changent de logique.

Suffrages économiques

Un troisième axe est constitué par une généralisation de la démocratie, pas seulement appliquée au secteur politique, par une démocratie participative, mais aussi au sein du système économique, dans toutes les institutions et entre les hommes et les femmes. Une conception participative de l’État en découle nécessairement, de même qu’une revendication des droits humains dans toutes leurs dimensions, individuelles et collectives. La subjectivité retrouve une place.

Allez, savoirs…

Enfin, le principe de la multiculturalité vient compléter les trois autres. Il s’agit de permettre à tous les savoirs, même traditionnels, de participer à la construction des alternatives, à toutes les philosophies et les cultures, en brisant le monopole de l’occidentalisation, à toutes les forces morales et spirituelles capables de promouvoir l’éthique nécessaire. Parmi les religions, la sagesse de l’hindouisme dans le rapport à la nature, la compassion du bouddhisme dans les relations humaines, la soif de justice dans le courant prophétique de l’islam, la quête permanente de l’utopie dans le judaïsme, les forces émancipatrices d’une théologie de la libération dans le christianisme, le respect des sources de la vie dans le concept de la terre-mère des peuples autochtones de l’Amérique latine, le sens de la solidarité exprimé dans les religions de l’Afrique, sont des apports potentiels importants, dans le cadre évidemment d’une tolérance mutuelle garantie par l’impartialité de la société politique.

Courant alternatif

Utopies que tout cela ! Mais le monde a besoin d’utopies, à condition qu’elles se traduisent dans la pratique. Chacun des principes évoqués est susceptible d’applications concrètes. Qui ont déjà fait l’objet de propositions de la part de nombreux mouvements sociaux et d’organisations politiques. Et que je développerai ces prochains jours… (2)(3)

François Houtart


(1) Né à Bruxelles en 1925, le Belge François Houtart est prêtre, sociologue et militant de la cause du Tiers-Monde. Il a fondé la revue Alternatives Sud ainsi qu'un centre d'étude, de publication, de documentation et d'éducation permanente sur le développement et les rapports Nord-Sud : le Centre Tricontinental (CETRI) de Louvain-la-Neuve (www.cetri.be).
(2) Cette contribution est une reprise partielle de l’allocution prononcée le 17 avril 2009 à la Semaine Sociale du Mouvement Ouvrier Chrétien (MOC) (www.moc.be). Les titre, chapeau et les intertitres sont de la rédaction.
(3) Pour suivre (sous réserve de l'arrivée, entre-temps, de nouveau(x) texte(s) ad hoc) :
. «Altermondialisme. Utopie appliquée.» (François Houtart),
. «Altermondialisme. Appel au Bien commun.» (François Houtart),
. «Altermondialisme. Ci-gît le capitalisme…» (Immanuel Wallerstein),
. «Altermondialisme. Feu le capitalisme…» (Immanuel Wallerstein),
. «Economie. Décroissance au petit déjeuner…» (Christophe Engels),
. «Economie. Changement de cap.» (Isabelle Cassiers),
. «Economie. Le tri de la croissance.» (Isabelle Cassiers),
. «Economie. Ce qui compte et ce que l'on compte.» (Isabelle Cassiers et Géraldine Thiry),
. «Economie. Dégrippons la boussole!» (Isabelle Cassiers)...