lundi 5 avril 2010

Altermondialisme. Utopie appliquée…


L’utopie est synonyme d’inspiration et créatrice de cohérence. Tel est l’avis de François Houtart. Qui se refuse à en rester au stade des vœux pieux. Propositions d’applications plus concrètes à l’appui…

François Houtart (1)


- Un usage renouvelable et rationnel des ressources naturelles,
- un privilège accordé à la valeur d’usage sur la valeur d’échange,
- une généralisation de la démocratie au monde de l'économie,
- la construction d'alternatives inspirées de tous les savoirs :
tels étaient donc les quatre principes auxquels je proposais de faire appel dans ma précédente contribution à ce blog.
L’adoption de ces principes permettrait d’engager un processus alternatif réel face aux règles qui président actuellement au déroulement de l’économie capitaliste, à l’organisation politique mondiale et à l’hégémonie culturelle occidentale et qui entraînent les conséquences sociales et naturelles que nous connaissons aujourd’hui.

Grandes orientations

Les principes exprimés débouchent sur de grandes orientations qu’il est possible d’esquisser.
- En effet, il est clair que le respect de la nature exige le contrôle collectif des ressources. Il demande aussi de constituer en patrimoine de l’humanité, les plus essentielles à la vie humaine (l’eau, les semences…), avec toutes les conséquences juridiques que cela entraîne. Il signifierait également la prise en compte des «externalités» écologiques dans le calcul économique.
- Privilégier la valeur d’usage exige une transformation du système de production, aujourd’hui centré prioritairement sur la valeur d’échange, afin de contribuer à l’accumulation du capital considéré comme le moteur de l’économie. Cela amène à la remise en place des services publics, y compris dans les domaines de la santé et de l’éducation, c’est-à-dire leur non marchandisation.
- Généraliser la démocratie, notamment dans l’organisation de l’économie, suppose la fin d’un monopole des décisions lié à la propriété du capital, mais aussi la mise en route de nouvelles formes de participation constituant les citoyens en sujets.
- Accepter la multiculturalité dans la construction des principes exprimés signifie ne pas réduire la culture à une seule de ses composantes et permettre à la richesse du patrimoine culturel humain de s’exprimer, de mettre fin aux brevets monopolisant les savoirs et d’exprimer une éthique sociale dans les divers langages.

Applications concrètes...

Utopie ! Oui, car cela n’existe pas aujourd’hui, mais pourrait exister demain. Utopie nécessaire, car synonyme d’inspiration et créatrice de cohérence dans les efforts collectifs et personnels. Mais aussi applications très concrètes, sachant que changer un modèle de développement ne se réalise pas en un jour et se construit par un ensemble d’actions, avec un déroulement dans le temps divers. Alors comment proposer des mesures s’inscrivant dans cette logique et qui pourraient faire l’objet de mobilisations populaires et de décisions politiques? Bien des propositions ont déjà été faites, mais on pourrait en ajouter d’autres.
- Sur le plan des ressources naturelles, un pacte international sur l’eau, prévoyant une gestion collective (pas exclusivement étatique) correspondrait à une conscience existante de l’importance du problème. Quelques autres orientations pourraient être proposées :
. la souveraineté des nations sur leurs ressources énergétiques;
. l’interdiction de la spéculation sur les produits alimentaires;
. la régulation de la production des agrocarburants en fonction du respect de la biodiversité, de la conservation de la qualité des sols et de l’eau et du principe de l’agriculture paysanne;
. l’adoption des mesures nécessaires pour limiter à un degré centigrade l’augmentation de la température de la terre au cours du XXIe siècle;
. le contrôle public des activités pétrolières et minières, au moyen d’un code d’exploitation international vérifié et sanctionné, concernant les effets écologiques et sociaux (entre autres les droits des peuples indigènes).
- A propos de la valeur d’usage, des exemples concrets peuvent également être donnés. Il s’agirait de
. rétablir le statut de bien public, de l’eau, de l’électricité, de la poste, des téléphones, de l’Internet, des transports collectifs, de la santé, de l’éducation, en fonction des spécificités de chaque secteur;
. exiger une garantie de cinq ans sur tous les biens manufacturés, ce qui permettrait d’allonger la vie des produits et de diminuer l’utilisation de matières premières et de l’énergie;
. mettre une taxe sur les produits manufacturés voyageant sur plus de 1000 km entre leur lieu de production et le consommateur (à adapter selon les produits) et qui serait attribuée au développement local des pays les plus fragiles;
. renforcer les normes du travail établies par l’OIT, sur la base d’une diminution du temps de travail et de la qualité de ce dernier;
. changer les paramètres du PIB, en y introduisant des éléments qualitatifs traduisant l’idée du «bien vivre».
- Les applications de la démocratie généralisées sont innombrables et pourraient concerner toutes les institutions qui demandent un statut reconnu publiquement, tant pour leur fonctionnement interne que pour l’égalité dans les rapports de genre: entreprises, syndicats, organisations religieuses, culturelles, sportives. Sur le plan de l’Organisation des Nations unies, on pourrait proposer la règle des deux tiers pour les décisions de principe et de la majorité absolue pour les mesures d’application.
- Quant à la multiculturalité, elle comprendrait, entre autres,
. l’interdiction de breveter les savoirs traditionnels;
. la mise à disposition publique des découvertes liées à la vie humaine (médicales et pharmaceutiques);
. l’établissement des bases matérielles nécessaires à la survie des cultures particulières (territorialité).

Reste à rassembler ces propositions concrètes en un ensemble cohérent d’alternatives.
D'où l'appel qui est lancé en ce sens. Et que je préciserai dans mon prochain message… (2)(3)

François Houtart


(1) Né à Bruxelles en 1925, le Belge François Houtart est prêtre, sociologue et militant de la cause du Tiers-Monde. Il a fondé la revue «Alternatives Sud» ainsi qu'un centre d'étude, de publication, de documentation et d'éducation permanente sur le développement et les rapports Nord-Sud : le «Centre Tricontinental» (CETRI) de Louvain-la-Neuve (www.cetri.be).
(2) Cette contribution est une reprise partielle de l’allocution prononcée le 17 avril 2009 à la Semaine Sociale du Mouvement Ouvrier Chrétien (MOC) (www.moc.be). Le chapeau et les intertitres sont de la rédaction.
(3) Pour suivre (sous réserve d'éventuels changements de dernière minute):
. «Altermondialisme. Appel au Bien commun.» (François Houtart),
. «Altermondialisme. Ci-gît le capitalisme.» (Immanuel Wallerstein),
. «Altermondialisme. Feu le capitalisme…» (Immanuel Wallerstein),
. «Economie. Décroissance au petit déjeuner…» (Christophe Engels),
. «Economie. Changement de cap.» (Isabelle Cassiers),
. «Economie. Le tri de la croissance.» (Isabelle Cassiers),
. «Economie. Ce qui compte et ce que l'on compte.» (Isabelle Cassiers et Géraldine Thiry),
. «Economie. Dégrippons la boussole!» (Isabelle Cassiers)...

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