lundi 26 avril 2010

Economie. Ce qui compte et ce que l'on compte.










Aujourd’hui, l’urgence n’est plus d’élargir le gâteau mais de le cuisiner sans dégâts, d’améliorer sa qualité nutritive et de mieux le partager.
Comment, donc, réconcilier ce qui compte et ce que l'on compte ?

Isabelle Cassiers (1) et Géraldine Thiry (2)

Cette contribution est basée
. sur un encadré de l’article
« Pour changer de cap, dégrippons la boussole» d’Isabelle Cassiers
paru dans la Revue Nouvelle en mars 2009 (n°3, p. 57),
. sur un article d’Isabelle Cassiers et Géraldine Thiry
intitulé «Réconcilier ce qui compte et ce que l’on compte»
et paru dans la Revue Louvain (UCL) du 15 décembre 2009.
Les titre, chapeau et intertitres sont de la rédaction.

Peut-on se passer de croissance? Faut-il prôner la décroissance? Ces questions semblent mal posées. Il ne s’agit pas de repartir en arrière, ni même d’arrêter la course, pour se maintenir dans un état stationnaire. Il s’agit plutôt de faire le tri entre des activités qui servent l’humanité et la planète et d’autres qui leur sont nocives. Or les critères de la comptabilité nationale ne le permettent pas.
La croissance du PIB, cela peut être
. la production et le commerce incontrôlé d’armes de guerre, mais aussi l’organisation de réunions diplomatiques en faveur de la paix;
. la production et la consommation de substances cancérigènes, mais aussi la production de vaccins et l’organisation de campagnes médicales;
. une activité financière de pure spéculation, mais aussi le financement d’activités locales assurant aux plus pauvres autonomie et dignité;
. la production de biens agricoles finalement détruits à la suite d’une «surproduction», mais aussi la lutte contre la malnutrition.
Ces exemples suggèrent qu’en soi, la croissance n’est ni bonne ni mauvaise. Tout dépend de son contenu. Poursuivre la croissance pour la croissance apparaît aujourd’hui comme un non-sens écologique et humain. Il s’agit de se doter de nouveaux outils, non plus pour encourager les activités marchandes, toutes catégories confondues, mais pour encourager les activités qui «font sens».

Au-delà du PIB

Récemment, des initiatives de grande envergure (Forum mondiaux de l’OCDE) ou très médiatisées (Commission Stiglitz) ont explicitement posé la question d’un «Au-delà du PIB»: si cet indicateur, utilisé comme moteur des politiques économiques, nous égare, n’y a-t-il pas urgence à en changer? Comme le résume joliment Paul Krugman, quel intérêt d’avoir de la croissance s’il n’y a plus de planète?
Alors, comment réconcilier ce qui compte (la préservation de la nature et nos valeurs humaines) et ce que l’on compte (les indicateurs à l’aide desquels on gouverne) ?
Les débats actuels sur ce sujet mettent en évidence trois impératifs:
1. Mesurer des résultats plutôt qu’une production évaluée monétairement: ainsi, les taux d’alphabétisation importent plus que les dépenses d’éducation, qui ne disent rien de leur efficacité. C’est une question de bon sens.
2. Prendre en compte les patrimoines, dans leur diversité: ne plus se contenter de valoriser les flux d’activité et de revenus (ce que fait le PIB) en ignorant les ponctions sur les stocks de richesse, en particulier sur le patrimoine naturel. Il en va de notre responsabilité vis-à-vis des générations futures.
3. Intégrer des questions de répartition: la croissance d’un revenu global peut être très inégalitaire. Un PIB par tête en hausse n’empêche pas certains revenus de baisser, ce qui crée dans la population le sentiment d’être trompé par les chiffres. Equité et représentation démocratique sont ici en jeu.

Au delà des travaux d’experts

Remplacer le PIB est un exercice complexe et digne du plus grand intérêt. La complexité n’est pas tant d’ordre statistique: de nombreux indicateurs alternatifs existent déjà, l’inventaire peut en être dressé. Mais chacun d’eux recèle implicitement une vision particulière du progrès. Lequel choisir? Comment construire un consensus?
La difficulté de l’exercice réside surtout dans le bousculement des valeurs et comportements sur lesquels une ou deux générations se sont établies.
La réflexion sur les indicateurs ne peut être confiée aux seuls experts mais relève du débat démocratique. Elle nous mène sur le terrain de nos finalités collectives.
On aurait tort d’y voir une question réservée à quelques idéalistes, sous prétexte que la croissance du PIB est indispensable à la création d’emploi, à la survie des entreprises et à la santé des finances publiques. Les temps où toute croissance de l’activité et des revenus était bonne sont révolus. S’y accrocher est un combat d’arrière-garde.
Aujourd’hui, l’urgence n’est plus d’élargir le gâteau mais de le cuisiner sans dégâts, d’améliorer sa qualité nutritive et de mieux le partager (3)(4)(5).

Isabelle Cassiers et Géraldine Thiry

(1) Isabelle Cassiers, professeur d'économie à l'UCL (CIRTES et IRES) et chercheur qualifié du FNRS, est aussi membre du Conseil central de l'économie et du Forum pour d'autres indicateurs de richesse (FAIR).
(2) Assistante à l'UCL (CIRTES et IRES), Géraldine Thiry prépare un doctorat en économie sur les indicateurs alternatifs au PIB. Elle est également membre de FAIR.
(3) Une étude complète est disponible sur http://sites.uclouvain.be/econ/Regards/Archives/RE075.pdf
(4) Pour suivre (sous réserve d’éventuelles modifications de dernière minute):
. «Economie. Dégrippons la boussole!» (Isabelle Cassiers)...
(5) En cas de difficulté technique, les commentaires à ce "message" peuvent également être envoyés (avec ou sans signature nominale et/ou adresse électronique) à engels_chr@yahoo.fr . Ils seront publiés sur ce blog dès que possible.

5 commentaires:

  1. Je suis d'accord. Croissance ou décroissance, la question n'est pas là. L'ennemi, c'est la mauvaise croissance.
    Alexandra

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  2. Bravo. La croissance n'est pas malsaine par principe. Mais elle l'est si elle est mise au service de n'importe quoi.
    Steph

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  3. Quels sont cesz indicateurs alternatifs qui existent déjà ? Où ? Que valent-ils ?

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  4. Trop vague. C'est toujours comme ça quand on confond la décroissance avec l'acroissance mièvre ou la soi disant croissance "durable". C'est justement parce qu'il n'y a aucun critère pour faire la différence entre mauvaise et bonne croissance qu'il faut choisir la (vraie) décroissance. Il faut trancher dans le vif sinon on n'en sort pas.
    Pierre

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  5. Merci de ces interventions.
    . Les deux premiers intervenants (Alexandra et Steph) son manifestement en phase avec Isabelle Cassiers... dont on pourrait croire qu'elle a par ailleurs anticipé la question sur les indicateurs alternatifs ! Elle y répond en tout cas dans le message suivant («Economie. Dégrippons la boussole!»).
    . Quant à la prise de position de Pierre en faveur de la décroissance absolue, même si elle témoigne manifestement d'une perméabilité... beaucoup moins manifeste aux (pourtant riches) considérations de la dite Isabelle Cassiers, elle gagnerait peut-être - sans qu'il ne soit question ici de se prononcer sur le fond - à approfondir l'argumentation qui la fonde. Les réflexions à paraître sur ce blog dans les semaines à venir auront justement pour but de contribuer, si modestement soit-il, à un tel enrichissement.
    Christophe Engels

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