lundi 23 juillet 2012

Edgar Morin et l'éthique de reliance























«L’éthique est reliance 
et la reliance est éthique»,
estime Edgar Morin.
Qui parle 
d'«éthique  de reliance»
pour désigner 
une éthique altruiste.
A laquelle il assigne 
une triple mission...
Maintenir l’ouverture 
sur autrui tout d'abord.
Sauvegarder 
l’identité commune ensuite. 
Raffermir et tonifier 
la compréhension enfin.

Marcel Bolle de Balle (1)

La notion de «reliance» est omniprésente dans le livre «La méthode 6. Ethique» d’Edgar Morin
Non seulement dans son chapitre sur «Ethique de reliance», mais aussi à de multiples autres endroits (pas moins de sept citations en ne se référant qu’à la seule table des matières …). 
Il la définit dans les termes suivants:
«La notion de reliance … comble un vide conceptuel en donnant une nature substantive à ce qui n’était conçu qu’adjectivement et en donnant un caractère actif à ce substantif.
«Relié» est passif, "reliant" est participant, "reliance » est activant.
On peut parler de "déliance" pour l’opposé de "reliance"». (2)

Reliance à soi, aux autres, au monde... et à l'espèce humaine

Dans son premier chapitre, il précise ainsi sa conception des rapports entre éthique et reliance: 
«Tout regard sur l’éthique doit percevoir que l’acte moral est un  acte individuel de reliance: reliance avec un autrui, reliance avec une communauté, avec une société et, à la limite, reliance avec l’espèce humaine.» (3). 
Ce faisant, il cerne bien les trois dimensions principales du projet et de l’acte de reliance: à soi (celle-ci, toutefois est chez lui plus implicite que concrètement affirmée), aux autres, au monde … en y ajoutant la reliance à l’espèce humaine. 
Puis, il met l’accent sur l’éthique de communauté  en tant que forme particulière de l’éthique de reliance et de solidarité
Nous retrouvons ici l’opposition classique entre les relations primaires, chaleureuses, affectives de la Gemeinschaft  (la communauté) d’une part, les relations secondaires, froides, techno-bureaucratiques de la Gesellschaft  (la société) d’autre part. 
Sauf que, fidèle à sa constante dialogique (4), il insiste sur la complémentarité de ces deux éthiques apparemment opposées. 
Néanmoins, toujours selon lui, «Le sentiment de communauté est et sera source de responsabilité et de solidarité, elles-mêmes sources de l’éthique» (5).
Elargissant ses perspectives au cosmos –et donc à la reliance cosmique– Edgar Morin note que «Un monde ne peut advenir que par la séparation et ne peut exister que dans la relation entre ce qui est séparé» (6).
En d’autres termes, en réaction contre le temps et l’espace, grands séparateurs nés avec notre monde, apparaissent des forces de reliance (formation de noyaux, atomes, molécules, étoiles, galaxies, etc .) luttant contre la dispersion. 
Mais dans l’univers, ces forces de reliance ont toujours subi un sort «fragile, périlleux, douloureux» (7) leur lutte contre la dispersion (déliance) a par bien des aspects été «pathétique» (8).

Reliance communautaire

Avec l’apparition des sociétés humaines surgit un nouvel  ordre de reliance, fondé sur le principe de la reliance communautaire, familiale, groupale, tribale. 
Ordre renforcé par le développement de la culture religieuse. 
Car la «religion» (religare, relier) implique  non seulement la reliance entre les membres d’une même foi, mais également la reliance avec les forces supérieures du cosmos, notamment avec leurs présumés souverains, les dieux. 
Comme j’ai souvent eu l’occasion de le préciser, la religion n’est qu’un cas particulier de reliance, cas particulier qui implique la référence à un transcendant plus ou moins céleste. 
Et Morin d’ajouter:
«Et c’est sans doute la Reliance des Reliances que célèbrent les cultes et rites des religions, les cérémonies sacrées, inconsciemment adoratrices du mystère suprême de la Reliance cosmique» (9).
En ce sens, nous autres êtres humains sommes intégrés, selon notre auteur, dans le jeu cosmique entre forces de reliance et forces de déliance:
«Nous sommes à la pointe de la lutte pathétiquede la reliance contre la séparation, la dispersion, la mort.
En cela nous y avons développé la fraternité et l’amour.» (10)

Impératif de reliance

Quant à l’éthique, elle est –ou devrait être– pour les individus autonomes  et responsables, l’expression de l’«impératif de reliance»
Tout acte éthique est un acte de reliance (11)
Selon une formule typiquement morinienne: «l’éthique est reliance et la reliance est éthique» (12).
Approfondissant ce qu’il appelle l’éthique de reliance, qu’il perçoit comme une éthique altruiste, Edgar Morin lui assigne la mission de maintenir l’ouverture sur autrui, de sauvegarder l’identité commune, de raffermir et de tonifier la compréhension. 
En cela, il met l’accent sur la dimension normative, sociale et psychosociale de la reliance (reliance à autrui. aux autres, au groupe). 
En termes éthiques, il souligne que la disjonction (la déliance) sans reliance permet le mal, tandis que le bien est reliance dans la séparation (la déliance). 
Reliance et déliance forment un couple conceptuel, duel et dialogique, comme le yin et le yang.
Or que constate Edgar Morin, après bien d’autres?  
Notre société sépare plus qu’elle ne relie, ce qui fait de nous des êtres en mal de reliance. 
Impératif éthique fondamental, la reliance commande les autres impératifs -tolérance, liberté, fidélité, amitié, amour, respect, courtoisie– à l’égard d’autrui, de la communauté, de la société, de l’humanité (13).

Reliance et complexité

Finalement, l’éthique de reliance  s’inscrit logiquement dans  une éthique de la complexité, de la pensée complexe. 
Voilà qui n’étonnera guère les lecteurs familiers de l’œuvre d’Edgar Morin. 
La pensée complexe n’est-elle pas par essence une pensée ayant pour vocation de «relier»? La reliance est au cœur de la pensée complexe, d’une éthique complexe, d’une complexité éthique: «la mission éthique peut se concentrer en un terme : "relier"» (14). 

Ne confondons pas...

Nous le constatons: pour Morin, la reliance est une norme éthique, un impératif intellectuel, social et moral. 
C’est en ce sens que nous pouvons légitimement parler à ce propos d’une «éthique de reliance», en la distinguant de l’«éthique de la reliance» dont nous entretient Michel Maffesoli... (15)(16)   

(A suivre)

Marcel Bolle De Bal

(1) Le (psycho)sociologue belge Marcel Bolle de Bal est professeur émérite de l'Université Libre de Bruxelles et président d'honneur de l'Association Internationale des Sociologues de Langue Française. Il a été consultant social (durant de nombreuses années), conseiller communal à Linkebeek, en périphérie bruxelloise (1965-1973, 1989-2000), lauréat du Prix Maurice van der Rest (1965). Il a signé plus de 200 articles et une vingtaine d'ouvrages, parmi lesquels...  
. Les doubles jeux de la participation. Rémunération, performance et culture, Presses Interuniversitaires Européennes, Bruxelles, 1990;
. Wegimont ou le château des relations humaines. Une expérience de formation psychosociologique à la gestion , Presses Interuniversitaires Européennes, Bruxelles, 1998;
.
Les Adieux d'un sociologue heureux. Traces d'un passage, Paris, l'Harmattan, 1999;
. Le Sportif et le Sociologue. Sport, Individu et Société, (avec Dominique Vésir), Paris, l'Harmattan, 2001;
. Surréaliste et paradoxale Belgique. Mémoires politiques d'un sociologue engagé, immigré chez soi et malgré soi, Paris, l'Harmattan, 2003;
. Un sociologue dans la cité. Chroniques sur le Vif et propos Express, Paris, l'Harmattan, 2004;
. Le travail, une valeur à réhabiliter. Cinq écrits sociologiques et philosophiques inédits, Bruxelles, Labor, 2005;
. Au-delà de Dieu. Profession de foi d'un athée lucide et serein, Bruxelles,Ed. Luc Pire, 2007;
. Le croyant et le mécréant. Sens, reliances, transcendances" (avec Vincent Hanssens), Bierges, Ed. Mols, 2008.
(2) Edgar Morin, La Méthode 6. Ethique, Paris, Seuil, 2004, pp.239.
(3) Id. p. 16.
(4) «Unité complexe entre deux logiques, entités ou instances complémentaires, concurrentes et antagonistes qui se nourrissent l’une de l’autre, se complètent, mais aussi s’opposent t se combattent». Id., p.234.
(5) Id., p. 17.
(6) Id.,  p. 27
(7) Id.,  p. 32.
(8) Id., p. 28.
(9) Id., p. 32.
(10) Id., p. 33.
(11)  Ibid.
(12) Id., p. 37.
(13) Id., p. 114.
(14) Id., p. 222.
(15) Le contenu de ce message nous a été envoyé par l'auteur, que nous remercions. Le solde du texte original suivra. Les chapeau et intertitre sont de la rédaction.
(16) Pour suivre (sous réserve de modifications de dernières minutes): des messages consacrés
. à la reliance (par Marcel Bolle de Bal),
. à la sociologie existentielle (par Marcel Bolle de Bal),
. au personnalisme (par Vincent Triest, Marcel Bolle de Bal...).

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