jeudi 30 octobre 2014

Immigration. Le monde est comme ça...


 

Wandifa,  le Gambien.
Ragip, le Kosovar.
Autant d'exemples 
d'immigrés
qui ont finalement
été expulsés.
Non qu'ils aient omis d'user, 
sinon d'abuser
de toutes les procédures 
de recours possibles.
Mais ils ont dû 
se résoudre 
à l'inéluctable.
Déboutés, 
ils ont été éconduits.
Retour au pays, donc.










Wandifa, le retour...
En Gambie.
Où il a été hébergé dans la maison de son oncle.
Et où il subit les récurrentes remontrances de sa tante...
«Ce n'est pas facile, répète-t-elle avec une lancinante obstination.
Tu dois nous aider.
La nourriture est chère.
Et il faut que les enfants aillent à l'école.
Quand tu étais en Suisse, tu contribuais à alléger notre fardeau.
Mais depuis que tu es revenu, tout est difficile.
J'aimerais que tu retournes là-bas.
C'est ce que nous voulons.
Tu dois nous débarrasser de cette souffrance...» (2)

«La Suisse, retournes-y!»

Quelle différence avec Ragip!
Qui -paradoxe- se voit, lui, reprocher amèrement d'avoir... déserté son pays d'origine!
«A l'époque, mon père me demandait de rentrer au Kosovo, se souvient celui qui se retrouve cantonné dans le rôle-oh, combien!- ingrat du fils indigne.
Mais je refusais.
Car j'aimais la Suisse.
Je voulais y rester.
Au bout du compte, je me suis pourtant fait expulser tout nu.
C'est comme ça...» (1)
Le retour au bercail s'annonçait difficile.
Il l'a été, en effet...
«Quand je suis revenu, mon père m'a dit:
"Bon ! Je te prête une chambre.
Mais tu ne le mérites pas.
Tu n'as pas bâti quoi que ce soit au Kosovo.
Tu n'a pas gagné ta vie.
Tu n'as rien fait.
Construis-toi une maison.
Puisque tu as été en Suisse, tu dois en être capable.
Ou alors tu n'as qu'à retourner là-bas."
C'est comme ça...» (2)

«Je deviens dingue!»

Fatalisme?
Oui.
Désabusé.
Et tout en contraste avec la révolte intérieure de Dia.
Qui, provisoirement séparé de son épouse, s'est laissé aller à oublier de renouveler sa carte B dans les temps.
Et qui a donc été renvoyé vers le Sénégal.
«Quelle erreur!
Elle m'a fait perdre les enfants et le travail qui étaient miens, à Lausanne.
Et elle m'a contraint à rallier Dakar.
Où j'ai découvert que la maison familiale n'était pas seulement désertée de mes parents, décédés entre-temps.
Elle était aussi complètement inondée.
Tout à fait inhabitable.
J'ai donc dû aller dormir ailleurs.
A la plage tout d'abord.
Puis chez ma soeur.
Qui continue à ignorer ce qui m'est arrivé.
Au même titre que tout mon entourage.
Car je n'ai osé raconter mon histoire à quiconque.
Evidemment certains se doutent de ce qui s'est passé, mais personne ne sait rien.» (2)
L'homme est littéralement ravagé.
«La pression est terrible.
Tout est mélangé dans ma tête.
Chaque fois que j'ai ma fille au téléphone, je me rends compte qu'elle ne comprend rien...
"Tu reviens quand, papa?"
"Tu es parti pour faire de la musique?"
Ca me rend dingue!
Ma famille, ce n'est pas ici!!
C'est en Suisse !!!
L'homme n'habite nulle part si ce n'est là où est sa famille!!!!
Là où est sa vie!!!!!
Là où il peut travailler !!!!!!
Ma dignité, c'est en Suisse!!!!!!!» (1)
Dia a sorti son mouchoir.
Il s'éponge les yeux.
«Je deviens fou...» (2)(3)

(A suivre)

Christophe Engels 
(d'après un remarquable document 
de l'excellent réalisateur suisse Fernand Malgar)(2) 


(1) Rivière noire, Bate Longe. Ou l'histoire d'un coeur qui, après avoir trop battu pour quelqu'un, ne veut plus rien savoir. «Il bat loin, loin. Il bat loin, loin...»
(2) Malgar Fernand, Le monde est comme ça, Climage (avec Arte, RTS, SSR, SRG), https://www.youtube.com/watch?v=9vL1PgyL0lk
(3) Pour suivre (sous réserve de changement de dernière minute):
. la suite d'une série de messages consacrés à l'immigration,
. des analyses sur la social-démocratie et l'écologie politique (après le libéralisme ainsi que l'humanisme démocratique qui, pour rappel, ont d'ores et déjà été abordés).


dimanche 26 octobre 2014

Immigration. Cher pays de mon enfance...


 






Après 
deux ans 
en Suisse,
Geordry 
a été 
rapatrié 
vers 
l'Afrique.
Adieu, 
donc, 
le Centre 
d'expulsion 
de Frambois.
Place 
à l'enfer 
du «vol spécial».
Un simple 
avant-goût, 
pourtant,
de ce qui attend 
l'expulsé 
came-
rounais.

















A Semira Adamu (Belgique),
Joseph Chiakwa (Suisse),
Abdelhak Goradia (France) 
et à tous ceux qui ont payé de leur vie
la violence en vigueur 
dans les «vols spéciaux».




Retour sur Geordry.
Qui, pour avoir refusé de rentrer dans son pays natal, a été conduit en banlieue genevoise.
Direction: le «Centre d'explusion» de Frambois.
Soit ce qu'on aurait appelé un «Centre de rétention administrative» en France ou un «Centre fermé» en Belgique.
S'en suivront plus de deux ans d'enfermement.
Et finalement, le 3 mars 2010, un rapatriement vers le Cameroun.
Que l'intéressé n'est pas près d'oublier...
«Oh, mon Dieu !
Le vol spécial, c'est vraiment inhumain, il faut le dire.
Il nous ont amenés à Zurich et, de là, à Yaoundé, accompagnés de deux flics, les mains menottées, les pieds enchaînés, la tête immobilisée par un casque.
Sans pouvoir boire ni aller au petit coin.
Pour un peu, nous nous serions pris pour de grands criminels de guerre...» (1)

Au-delà ce cette porte, 
votre carte de presse n'est plus valable

Pas de quoi surprendre ce professeur belge de journalisme international qu'est Jean-Paul Marthoz (2).
«Très souvent, le journalisme stoppe à la porte de l'avion qui ramène ces personnes dans leur pays, déplore ce spécialiste des migrations.
Or, le retour peut se révéler très difficile, voire dangereux.
Les risques sont particulièrement grands lorsqu'un candidat à l'asile politique se voit débouter et est renvoyé dans son pays.» (3)
Et notre guide de citer l'exemple de la République Démocratique du Congo, où les services de sécurité locaux, partant du principe que les réfugiés revenus des pays occidentaux ont pu y gagner beaucoup d'argent, auraient pris l'habitude de leur extorquer des sommes importantes.
Ce que confirme Amnesty International Belgique.
Qui précisait déjà en 2005... 
«A leur arrivée au Congo, les demandeurs d'asile renvoyés sont soumis à un interrogatoire sévère et se voient contraints de payer des dédommagements financiers avant d'être jetés en prison.
Le vice-président du Congo se défend en reconnaissant que certains membres des services de sécurité vont trop loin, tout en précisant qu'il ne s'agit pas d'une politique délibérée.» (4)
  
Bienvenue au Cameroun!

Congo et Cameroun, même combat?
A Yaoundé, quatre policiers attendent en tout cas Geordry et ses compagnons d'infortune.
«Ils nous ont dit: "Bienvenue au Cameroun!".
Et... ils nous ont pris notre argent!
Ils m'ont informé que j'étais recherché et qu'ils avaient des documents compromettants me concernant.
En fait, ils disposaient de la copie d'une pièce officielle de Frambois,... dont ils disaient même détenir l'original!
Où l'avaient-ils eu(e)? 
Avec ça, en tout cas, ils avaient la preuve que j'avais demandé l'asile à la Suisse...» (1)
Ce qu'un Camerounais n'a pas le droit de faire.
Car, ce faisant, il est censé salir le nom de son pays en allant raconter «n'importe quoi» à l'étranger.
Conséquence pour Geordry: des centaines de coups sur la plante des pieds...
«Quatre cents coups de fouet!
Vous savez ce que cela fait?
Il m'a fallu des semaines pour pouvoir à nouveau me tenir debout.
Entre-temps, j'ai rampé.
Mes pieds brûlaient.
Tout était enflé.
C'était vraiment très difficile pour moi.
Très difficile...» (1)
Six mois de calvaire s'en suivent pour le jeune homme.
Qui se retrouve entassé, avec quatorze autres détenus, dans un local de 20 m².
Et qui n'ose même pas penser, aujourd'hui, à ce qui l'attendrait s'il venait à être reconvoqué.
«Je vis dans le doute, confie-t-il. 
Je ne sais pas quoi faire.
Je ne sais pas où aller. 
Et comment me nourrir?
Personne n'acceptera de m'aider, ici!
Personne...» (1)(5)

(A suivre)


Christophe Engels 
(d'après un remarquable document 
de l'excellent réalisateur suisse Fernand Malgar)(1) 


(1) Malgar Fernand, Le monde est comme ça, Climage (avec Radio Télévision Suisse, SRG SSR, Arte GE.I.E)., 2014.
(2) Professeur de journalisme international à l'Université Catholique de Louvain et de déontologie de l'information à l'Institut des Hautes Etudes de Communications Sociales, Jean-Paul Marthoz est aussi chroniqueur de politique international au quotidien Le Soir.
(3) Marthoz Jean-Paul, Couvrir les migrations, De Boeck, coll. Info & com, Bruxelles, 2011, p.144.
(4) Amnesty International Belgique, Note mensuelle sur l'actualité en matière d'asile, décembre 2005, http://www.amnesty.be/doc/IMG/article_PDF/article6687.pdf.
(5) Pour suivre (sous réserve de changement de dernière minute):
. la suite d'une série de messages consacrés à l'immigration,
. des analyses sur la social-démocratie et l'écologie politique (après le libéralisme ainsi que l'humanisme démocratique qui, pour rappel, ont d'ores et déjà été abordés). 

mercredi 22 octobre 2014

Immigration. Pour qui sonne le glas...


«Par ces motifs, 
la demande d'asile 
est rejetée.»
Des mots 
qui font 
la hantise 
du candidat 
réfugié.
Car ils sonnent 
le glas 
de tous 
ses espoirs.
Espoirs de 
reconnais-
sance.
Et espoirs de 
nouvelle vie.
Histoire d'un drame qui,
loin 
de déboucher 
sur le soulagement tant désiré,
finit par tourner 
à la tragédie 
de la désillusion.
Donc à la... double peine!



Geordry (portrait ci-dessus) n'est pas près de s'en remettre.
Lui qui avait quitté son Cameroun natal parce que ses parents avaient été tués et qu'il voulait sauver sa peau a un jour trouvé dans sa boîte aux lettres genevoise un courrier venant de Berne.
Avec, notamment, ce passage, à tout jamais imprimé dans sa mémoire...
«Rien ne prouve que si le requérant rentre au Cameroun, sa vie serait en danger.» (1)
Et le document de s'achever de la sorte...
«Par ces motifs, l'ODM décide:
1. Le requérant n'a pas la qualité de réfugié.
2. La demande d'asile est rejetée.
3. Le requérant est renvoyé de Suisse.
4. Le requérant doit quitter la Suisse d'ici le 4 octobre 2007, faute de quoi il s'expose à des moyens de contrainte. 
5. Le canton de Vaud est chargé de l'exécution du renvoi.
Office fédéral des migrations ODM»
Le jeune homme refuse d'y croire.
Il lit et relit la missive.
Mais la réalité s'impose à lui.
Dans toute son impitoyable brutalité.

Rien n'est impossible...

Pour Geordry, la réponse positive faisait office d'ultime perspective.
Car elle lui apparaissait comme seule et unique issue de secours.
Celle qui, pensait-il, lui permettrait enfin de remettre les compteurs à zéro.
Celle qui, à tout le moins, lui signifierait que son incroyable réalité avait été entendue et crue.
«Lorsque la sentence du rejet est prononcée, certains s'écroulent, écrit la psychologue et psychanalyste française Elise Pestre.
Il n'y a plus de recours.
Seulement de l'impossible.» (2)
Dès lors que s'abat le couperet du rejet, le demandeur d'asile se retrouve en effet éjecté.
Ejecté des structures sociales.
Ejecté du cadre politique.
Ejecté vers le puits sans fond d'un inexorable processus qui, initié lors de la fuite de son pays, n'en finit pas de se poursuivre et de se radicaliser.

A bout d'espérance

Confronté à la ruine de tous ses efforts, le demandeur d'asile débouté se retrouve à bout de force.
A bout de souffle.
A bout d'espérance.
Car il se sent devenu un paria universel.
«Le rejet à l'asile, lorsqu'il n'est pas justifié, implique pour le réfugié une dénégation de son vécu, qui glisse du côté du déni de sa vérité et dont le pouvoir s'avère retraumatisant.» (3)
Le déni peut s'avérer d'autant plus destructeur que la personne par laquelle il se sent trahi est justement un interlocuteur institutionnel.
Un personnage officiel.
Un représentant du groupe humain.
«Une telle "négation de son témoignage" équivaut à la négation du sujet alors même qu'il tentait de se réconcilier avec la parole, de retisser du lien social. (...)
L'élan vers les autres s'effondre, pour laisser place à un sentiment d'abandon. (...)
Le traumatisme peut alors devenir sans fin, la confiance dans le genre humain étant définitivement atteinte.» (4)

Bombe à fragmentation

Pour la personne concernée, le déni de sa vérité est précisément ce qui transforme la scène en trauma et entraîne du côté de la fragmentation psychique. 
«Au sein de certaines constellations psychiques, le tissu narcissique déjà sérieusement endommagé ne pourra plus se reformer.» (5)
La réversibilité des troubles dépendra de la structure psychique initiale et de l'accès à des ressources qui permettront à l'intéressé d'endiguer ou non ce rejet. 
«La plupart des réfugiés survivent heureusement au réveil des blessures narcissiques généré par le rejet de leur demande d'asile. (...)
Ceux qui disposent d'une structure psychique relativement stable avant les événements rencontrés, et qui s'inscrivent dans une position combattive (...) accèdent (...) à des ressources internes et/ou externes avec plus de facilité.
Les réfugiés militants, par exemple, se positionnent face à leur interlocuteur avec plus d'assurance, de légitimité dans leur demande, ce qui les aide à être plus "convaincants" face aux autorités politiques(6)

Le recours de la momie

Tous, cependant, ne bénéficient pas des mêmes capacités de résilience.
Place, alors, à d'autres stratégies de rebond.
Ainsi, celui qui est profondément affecté sur le plan narcissique en arrive parfois à «faire appel à l'équipe».
C'est-à-dire à convoquer l'expédient ultime du recours au soutien d'un groupe ou d'une communauté.
Un mouvement identificatoire à l'autre qui peut notamment lui permettre de combattre l'image de «déchet» social qui, le cas échéant, lui colle à la peau.
«Pour beaucoup de demandeurs d'asile, se raccrocher à la réalité extérieure est parfois la seule alternative à même de combler les failles internes advenues à la suite des catastrophes vécues. (...)
Il semble que pour certains dont le "capital narcissique initial" est mince, la reconnaissance externe et sociale attire toute l'énergie vitale, en sursis. » (7)
Oui, décidément!
Le rejet d'une demande d'asile ne va pas sans drame humain.
«Cela m'a fait très mal, ne peut que confirmer un Geordry anéanti.
Un peu comme si le ciel m'était tombé sur la tête...» (8) (9) 

(A suivre)

Christophe Engels


(1) Malgar Fernand, Le monde est comme ça, Climage (avec Radio Télévision Suisse, SRG SSR, Arte G.E.I.E)., 2014. A noter que ce film sera projeté à Bruxelles ce jeudi 23 octobre 2014 dans le cadre du Festival des Libertés, avant une rencontre avec le réalisateur et un représentant de l'association belge Ciré (Coordination et Initiatives pour Réfugiés et Etrangers).
(2) Pestre Elise, La vie psychique des réfugiés, Payot et Rivages, coll. Petite bibliothèque Payot, Paris, 2010-2014, pp.164-165.
(3) Pestre Elise, idem, pp.164-165. 
(4) Pestre Elise, idem, p.167.
(5) Pestre Elise, idem, p.166.
(6) Pestre Elise, idem, p.168.
(7) Pestre Elise, idem, p.182.
(8) Malgar Fernand, Le monde est comme ça, Climage (avec Radio Télévision Suisse, SRG SSR, Arte G.E.I.E)., 2014.
(9) Pour suivre (sous réserve de changement de dernière minute):
. la suite d'une série de messages consacrés à l'immigration,
. des analyses sur la social-démocratie et l'écologie politique (après le libéralisme ainsi que l'humanisme démocratique qui, pour rappel, ont d'ores et déjà été abordés.


samedi 18 octobre 2014

Immigration. Les lendemains de la veille




























Le statut 
de réfugié?
Un grand 
réconfort.
Un énorme 
soulagement.
Une joie 
indicible.
Mais pas 
un coup 
de baguette 
magique.
Car tout 
reste à faire 
dans 
ce nouveau 
pays...


Pour le demandeur d'asile, le «oui» est perçu comme une reconnaissance.
Il a aussi, le plus souvent, une valeur organisatrice autant que structurante.
«Si les variations des réactions entre les réfugiés restent importantes et que l'on ne peut pas généraliser trop rapidement cette hypothèse, ce statut semble contribuer à réparer les dommages internes du sujet, croit pouvoir constater la psychologue et psychanalyste française Elise Pestre (1).
Celui qui était mis au ban de l'Etat, expulsable, et qui se sentait "réduit au néant", parviendra enfin à retrouver une place de sujet politique, responsable, et à quitter sa place d'objet (de la "machinerie juridique et administrative", du corps médical, du bourreau, etc.).» (2)

Les lendemains qui déchantent

Reste qu'autant la réponse positive provoque souvent dans un premier temps un sentiment d'euphorie, autant elle ouvre la porte d'un nouveau chapitre.
Un chapitre du grand livre de la réalité.
Qui n'a pas grand chose à voir avec le conte de fée.
A l'intéressé, désormais, de décider.
Et de... réussir!
«Obtenir "le" statut, c'est un peu comme acquérir la nationalité, se souvient ce Rwando-Congolais devenu Belge qu'est le posé Aimé.
Avant le jour J, ce seul et unique objectif monopolisait mon esprit.
Dans ma tête, c'était l'échéance absolue.
Celle à laquelle je me consacrais pleinement.
Celle qui retenait toute mon attention.
Celle sur laquelle je me focalisais.
Quand j'ai reçu la bonne nouvelle, le soulagement et la joie ont été à la hauteur de l'investissement consenti.
Monumental.
Phénoménal.
Faramineux.
Mais assez vite, je suis passé à une autre étape.
Je me suis rendu compte qu'il y avait encore beaucoup de pain sur la planche...»
Car tout reste à faire dans ce nouveau pays.
Où il va notamment falloir trouver un emploi...
Le réfugié est dorénavant placé face à ses responsabilités.
C'est la fin des illusions.
La fin, aussi, de certains fantasmes qui lui sont liés.
Non, le nouveau statut ne suffit pas à rendre heureux!
Non, il ne rend pas intrinsèquement différent!
Non, les banques ne feront pas crédit par bonté d'âme!
«De mon côté, j'ai rencontré des problèmes parce que mon patron avait cru bon de me déclarer sans m'en avertir, confie, dans un grand éclat de rire, ce Belge d'origine rwandaise qu'est Théodore.
Ce qui m'a valu pas mal de soucis avec l'administration fiscale.
Non pas que j'aie voulu tricher.
Mais à l'époque, je ne maîtrisais pas encore les arcanes du système.
M'échappait encore une partie substantielle de ce qui aurait sans doute fait office d'évidence à un habitué du plat pays.
Ceci dit, l'expérience est vite entrée.
Par exemple, j'ai appris à ne plus céder aux fallacieuses exigences de tous ces avocats qui se faisaient rémunérer pour des services dont ils se gardaient bien de préciser qu'ils étaient censés les rendre pro deo...»

Reconstruction

Place, donc, à une nouvelle réalité.
Et sans doute à une forme plus ou moins marquée de désillusion.
Celle qui découle, au mieux, de la confirmation ou, au pire, de la découverte que l'obtention des papiers tant attendus ne s'apparente pas à un coup de baguette magique. 
«Lorsque les effets du trauma et de l'exil ont été particulièrement destructeurs, s'il n'y a pas de travail de métaphorisation par le truchement d'un tiers (avec un psychothérapeute notamment), l'obtention des "papiers" ne solutionnera pas la problématique de celui qui est en grande souffrance.» (3)
Pour le réfugié, la reconnaissance par l'Etat des persécutions dont il a été la victime ne fait donc pas office de recette miracle.
Elle ne suffit pas à régler sur un mode féerique les difficultés liées à un vécu chaotique ou à des traumas.
N'empêche...
La réponse positive à une demande d'asile résonne un peu à la manière d'un «je te crois».
Et n'en participe donc que d'autant plus substantiellement à une reconstruction politique et subjective.
De quoi aider considérablement à tourner la page.
A sortir d'une attente aussi inconfortable que douloureuse.
Et à refaire le plein d'énergie...
«J'ai finalement repris des études universitaires, raconte fièrement cette vieille connaissance de Elçin (4).
Le défi n'était pas mince, pour moi, de m'y coller en français.
Mais comme le diplôme obtenu dans mon pays d'origine n'était pas reconnu en Europe, je me suis lancé.
Et aujourd'hui, je peux me targuer d'avoir réussi ma première année! 
Croyez-moi: ce n'est qu'un début...» (5)


(A suivre)

Christophe Engels


(1) Elise Pestre est maîtresse de conférences à l'Université Paris-Diderot et chercheure au centre de recherches Psyhanalyse, Médecine et Société.
(2) Pestre Elise, La vie psychique des réfugiés, Payot et Rivages, coll. Petite bibliothèque Payot, Paris, 2010-2014, pp.186-187 
(3) Pestre Elise, idem, pp.195-196. 
(4) Voir message précédent.
(5) Pour suivre (sous réserve de changement de dernière minute): 
. la suite d'une série de messages consacrés à l'immigration, 
. des analyses sur la social-démocratie et l'écologie politique (après le libéralisme ainsi que l'humanisme démocratique qui, pour rappel,
ont d'ores et déjà été abordés).