mardi 29 novembre 2016

Néolibéralisme. Zombie fait de la résistance







Comme le communisme, 
le néolibéralisme 
est un Dieu déchu. 
Mais la doctrine zombie 
poursuit son cheminement 
d'un pas chancelant. 
Sur fond d'anonymat.
Ou plutôt de faisceau 
d'indiscrétions concordantes. 
Dénoncées, dans The Guardian,



«La doctrine invisible de la main invisible est tenue à bout de bras par des bailleurs de fonds invisibles. 
Lentement, très lentement, nous commençons à découvrir le nom de quelques-uns d'entre eux. 
Nous apprenons que l'Institut des affaires économiques, qui s'est opposé avec force dans les médias à toute nouvelle réglementation de l'industrie du tabac, a été secrètement financé, depuis 1963, par la British American Tobacco
Nous relevons que Charles et David Koch, deux des hommes les plus riches du monde, ont fondé l'institut dont a émergé le mouvement Tea Party
Nous entrevoyons que Charles Koch, en fondant l'un de ses groupes de réflexion, a signifié que "dans le but d'éviter les critiques indésirables, les modalités de contrôle et de direction de l'organisation aurait tout intérêt à s'abstenir de toute diffusion au sens large".

Glissements sémantiques

Les mots retenus par le néolibéralisme dissimulent souvent davantage qu'ils n'élucident. 
"Le marché" s'entend comme un phénomène naturel qui nous concernerait tous de la même façon, comme le ferait la gravité ou la pression atmosphérique.
N'est-il pourtant pas lourd de relations de pouvoir?
Sa "volonté" ne tend-t-elle pas à refléter celle des entreprises et de leurs patrons? 
Et Sayer n'attire-t-il pas l'attention sur le fait que le terme "investissement" recouvre deux significations fort différentes, la première renvoyant au financement d'activités productives et socialement utiles, alors que la deuxième fait référence à un simple achat d'actifs préexistants, qui n'a d'autre but que de percevoir des intérêts, des dividendes et/ou des gains en capital? 
En recourant à le même appellation pour désigner des activités aussi discordantes, on "camoufle les sources de richesse".
Ce qui conduit à confondre création et prélèvement de richesse. 

Héritier, moi? Papa du tout! 

Il y a un siècle, les nouveaux riches étaient décriés par les riches héritiers. 
Et les entrepreneurs cherchaient la reconnaissance sociale en se faisant passer pour des rentiers. 
Aujourd'hui, c'est le contraire: les rentiers et les héritiers se présentent comme entrepreneurs. 
Ils prétendent avoir gagné à la sueur de leur front ce qui ne correspond en fait qu'au revenu de leur capital. 

Nom lieu

Un tel anonymat et une telle confusion s'accommodent bien de cette absence de nom et de lieu qui caractérise le capitalisme moderne: 
. le modèle de la franchise qui garantit que les travailleurs ne savent pas pour qui ils triment; 
. les entreprises enregistrées au travers d'un réseau de régimes offshore si complexe que même la police n'arrive pas en découvrir les véritables propriétaires; 
. les montages fiscaux qui embobinent les gouvernements;
. les produits financiers auxquels personne ne comprend rien.

Circulez, 'y a rien à voir

L'anonymat du néolibéralisme est jalousement protégé. 
Ceux qui sont influencés par Hayek, Mises et Friedman ont tendance à rejeter le mot, clamant -non sans pertinence- qu'il est aujourd'hui négativement connoté. 
Sans pour autant y aller de la moindre proposition de remplacement. 
Certains se décrivent comme libéraux classiques ou comme libertaires, mais ces appellations sont à la fois fallacieuses et curieusement modestes.
Comme s'il s'agissait de suggérer que rien n'a changé depuis la "
La Route de la servitude", "Bureaucratie" ou ce grand classique de Friedman qu'est "Capitalisme et Liberté".» (1)


(A suivre)


George Monbiot


(1) Traduction de la quatrième partie de: Monbiot George, Neoliberalism- the ideology at the root of all our problems, in The Guardian, 15 avril 2016. La fin sera publiée dans les prochains jours. Les illustrations et intertitres sont de la rédaction.


jeudi 24 novembre 2016

Néolibéralisme. La liberté du renard




«Entre une dictature libérale 
et un gouvernement démocratique dénué de libéralisme, 
je choisis résolument la première option».
Friedrich Hayek 
met carte 
sur table.
La liberté que revendique 
le néolibéralisme, 
c'est celle du renard dans le poulailler.
Tant pis, donc, pour les poules.
Et pour les pigeons... 


«Faut-il s'étonner qu'une doctrine faisant l'apologie du choix individuel et de la liberté ait vu sa promotion assurée par le slogan"il n'y a pas d'alternative"? 
Ce serait oublier un peu vite ce qu'Hayek faisait remarquer lors d'une visite au Chili de Pinochet -l'une des premières nations qui ait appliqué le programme néolibéral dans son intégralité-: "entre une dictature libérale et un gouvernement démocratique dénué de libéralisme, je choisis résolument la première option". 
Qu'on ne s'y trompe donc pas: si séduisante puisse-t-elle sembler lorsqu'elle s'exprime en termes généraux, la liberté du néolibéralisme, c'est celle du renard, pas celle de la poule.

La liberté du plus fort

Car la liberté ici évoquée est de celles qui, en exonérant des revendications syndicales et autres conventions collectives, permet d'amputer les salaires. 
De celles qui, en affranchissant des réglementations, autorise à empoisonner les rivières, à mettre en danger les travailleurs, à imposer des taux d'intérêt tyranniques et à concevoir des instruments financiers exotiques. 
De celles qui, en émancipant de l'impôt, exonère de toute velléité de redistribution des richesses quiconque a eu le bon goût de se retrouver épargné par les vicissitudes de la pauvreté. 

Vous reprendrez bien une petite crise... 

Naomi Klein le rappelle à suffisance dans "La théorie du choc": les théoriciens néolibéraux ont recommandé de tirer parti des crises pour imposer des politiques impopulaires.
Le coup d’État de Pinochet?   
L'idéal pour détourner l'attention.
La guerre en Irak?
Une opportunité du même type.
L'ouragan Katrina?
Décrit par Friedman comme "une occasion rêvée de réformer radicalement le système éducatif" de la Nouvelle-Orléans.

Les coulisses du spectacle 

Dès lors que les politiques néolibérales ne peuvent pas être imposées directement aux pays par des voies internes, il suffit de le faire par le détour de l'international, via des traités commerciaux prévoyant le recours à des tribunaux offshore -"ISDS" ("Investor-State Dispute Settlement") pour les intimes- susceptibles de renforcer les groupes de pression dans le travail de sape qu'ils se donnent vocation à exercer à l'encontre de tout ce qui ressemble à de la protection sociale ou environnementale. 
Des parlementaires votent-ils pour restreindre les ventes de cigarettes, pour protéger l'approvisionnement en eau des compagnies minières, pour geler les factures d'énergie ou pour empêcher les firmes pharmaceutiques de dépouiller l'état? 
Qu'à cela ne tienne...
Des multinationales surgissent, qui s'empressent, souvent avec succès, d'ester en justice contre les États concernés. 
Et la démocratie de s'en voir réduite à un théâtre d'ombres.

Procédures: silence, on ergote!

Autre paradoxe du néolibéralisme: la concurrence mondiale s'appuie sur le double socle du quantifiable universel et de la comparaison bien choisie. 
Avec pour résultat que travailleurs, demandeurs d'emploi et services publics de toutes natures se retrouvent à la merci d'un ergotage procédurier qui, en étouffant les systèmes d'évaluation et de surveillance, en arrive à bien identifier les "gagnants" pour mieux punir les "perdants". 
Bien loin de libérer du cauchemar bureaucratique de la planification, la doctrine proposée par Von Mises a donc au contraire contribué à en fabriquer un.

Liberté, inégalité, privé

Non pas que le néolibéralisme ait été initialement conçu comme un (self-)service de l'extorsion
Mais, de facto, il en est rapidement devenu un. 
Au point que depuis l'avènement de l'ère néolibérale (1980 pour la Grande-Bretagne et les États-Unis), la croissance économique s'est nettement ralentie par rapport aux décennies précédentes. 
Sauf pour les plus nantis. 
Après soixante années de recul, l'inégalité a rapidement repris du poil de la bête, faisant échec à la redistribution des revenus et à la répartition des richesses . 
Et pour causes...
La mise au pas des syndicats, les réductions d'impôt, la hausse des loyers, les privatisations et la dérégulation étaient passés par là.

Vous avez dit cochons payeurs?

Energie, eau, chemins de fer, santé publique, éducation, routes, prisons: autant de services publics dont la privatisation ou la marchandisation a débouché sur la mise en place par les entreprises de systèmes de péage, histoire de valoriser au mieux la perception des loyers et dépôts de garantie à charge des usagers et des gouvernements. 
Quelle que soit les dénominations retenues, le constat reste le même: au bout du compte, les rentes en question s'apparentent ni plus ni moins à des revenus du capital. 
Dès lors que vous payez un prix artificiellement gonflé pour un billet de train, seule une partie du montant sert à rémunérer les opérateurs, les dépenses d'énergie, les salaires ou l'amortissement du matériel roulant. 
Le reste, c'est ce qui vous est ponctionné.
Cochon payeur qui s'en dédit...  

Une dynamique s'est mise en place, que l'on retrouve un peu partout dans le monde.
Au Royaume-Uni, ceux qui possèdent et dirigent les services privatisés ou semi-privatisés amassent des fortunes prodigieuses en investissant léger et en facturant lourd. 
En Russie et en Inde, les oligarques ont acquis des actifs d’État à des prix dérisoires. 
Au Mexique, Carlos Slim est rapidement devenu l'un des hommes les plus riches du monde après avoir obtenu le contrôle d'à peu près tous les services de téléphonie fixe et mobile du pays.  

Pauvres plus pauvres, riches plus riches

La financiarisation?
Pas mieux.
Dans "Why We Can’t Afford the Rich", Andrew Sayer fait remarquer que son impact s'est révélé similaire à celui de la rente. 
"L'intérêt, lui aussi, est... un revenu du capital dont l'obtention ne nécessite pas le moindre effort", soutient l'auteur.
Qui précise qu'à mesure que les pauvres deviennent plus pauvres et les riches plus riches, ces derniers en arrivent à contrôler de plus en plus étroitement un autre outil essentiel: la monnaie. 
Globalement, le versement des intérêts s'accompagne d'un incontestable transfert financier des moins favorisés aux plus nantis. 
Les prix de l'immobilier et le retrait de l’État pèsent sur les personnes endettées (pensez au remplacement des bourses d'études par des prêts aux étudiants).
Pour la plus grande joie des banques et de leurs dirigeants qui en profitent pour s'enrichir au détriment de qui vous savez.

Revenu du travail: supplanté par le revenu du capital

Précision de Sayer: les quatre dernières décennies ont été marquées par un double transfert de richesse... 
Des pauvres vers les riches, donc. 
Mais aussi, au sein de cette deuxième catégorie, de ceux qui gagnent de l'argent en fournissant de nouveaux produits ou services vers ceux qui le font en contrôlant les actifs existants et en récoltant loyers, intérêts ou rémunérations de capital. 
Et le revenu du travail de se voir supplanté par le revenu du capital. 

Défaillances du marché

Reste que les politiques néolibérales se heurtent partout à des défaillances du marché. 
Non seulement les banques sont devenues "too big to fail", mais le secteur privé jouent à présent le rôle de fournisseur des services publics. 
Comme souligné par Tony Judt, le raisonnement de Hayek a omis de faire valoir qu'un effondrement des services publics de première nécessité s'avérant tout à fait exclu, les règles de la concurrence, ici, ne s'exercent pas. 
Et que, dès lors, les bénéfices sont engrangés par le monde des affaires alors même que les risques sont endossés par les États.

Radicalisation de l'idéologie

Plus les défaillances apparaissent, plus l'idéologie se radicalise. 
Pour les gouvernements, les crises du néolibéralisme servent à la fois d'excuse et d'opportunité sur les chemins 
. de la réduction des impôts, 
. de la privatisation de ce qui reste de services publics, 
. de l'agrandissement des trous du filet de la sécurité sociale, 
. de la déréglementation des sociétés 
. et de la "re-réglementation" des citoyens. 
Et l'auto-aversion de l’État de s'élargir à l'ensemble des services publics. 

Derrière la crise économique, la crise politique

L'effet le plus dangereux du néolibéralisme réside-t-il dans les crises économiques qu'il génère?
Pas sûr.

Car les séquelles politiques sont peut-être encore plus graves. 
La réduction du domaine de l’État se traduit en effet par une contraction de notre capacité à changer le cours de nos vies via le vote. 
La théorie néolibérale avance que ce déficit serait compensé par la possibilité, pour les gens, d'exercer autrement leur liberté de choix: en orientant leurs dépenses. 
Seulement voilà... 
Certains ont davantage à débourser que d'autres: dans la grande démocratie du consommateur ou de l'actionnaire, les différents suffrages n'ont pas tous le même poids. 
Résultat: une déresponsabilisation des pauvres et de la classe moyenne. 
Le constat est accablant: à l'heure où les partis de droite et de l'ancienne gauche optent pour des politiques néolibérales similaires, une telle déresponsabilisation tourne à la privation effective des droits. 
Avec cette conséquence que, de facto, un grand nombre de personnes se voient désormais exclues du débat politique. 

Slogans, symboles et autres sensations: 
la revanche des perdants

Chris Hedges note que "les mouvements fascistes s'appuient sur une base constituée non des actifs mais des inactifs de la politique, des 'perdants' qui sentent, souvent à raison, que leur voix ne compte pas davantage que le rôle qu'ils ont à jouer". 
Puisque le débat politique ne s'adresse plus à lui, le peuple se fait toujours plus réceptif à ce qui lui reste accessible: slogans, symboles et autres sensations. 
Voyez les admirateurs de Trump: les faits et les arguments leur apparaissent tout bonnement dépourvus de pertinence.

L'ombre du totalitarisme

Judt explique pour sa part que lorsque le maillage des interactions entre individus et État perd de sa densité jusqu'à se réduire au simple exercice de l'autorité et de l'obéissance, la seule force de reliance qui nous reste est le pouvoir décuplé de l’État. 
Le totalitarisme que Hayek redoutait tant est plus susceptible de voir le jour quand les gouvernements, dépossédés de l'autorité morale que leur conférait le rôle de prestataire de services publics, en sont réduits à "cajoler, menacer et finalement contraindre les gens à leur obéir".» (1)


(A suivre)


George Monbiot


(1) Traduction de la troisième partie de: Monbiot George, Neoliberalism- the ideology at the root of all our problems, in The Guardian, 15 avril 2016. La suite sera publiée dans les prochains jours. Les chapeau, illustrations et intertitres sont de la rédaction.


vendredi 18 novembre 2016

Trump chante Cohen. Eh, bien! Dansez maintenant...



















De France (surtout),
des U.S.A. (de plus en plus), 
de Belgique (bon troisième), 
d'un peu partout (1)... 
Grand merci 
d'être toujours 






















(1) Allemagne, Russie, Pologne, Emirats arabes unis, Canada, Royaume-Uni, Ukraine...
(2) Ce qui se traduit par une progression avoisinant le un à cinquante en six bonnes années (voir, au bas de la colonne de gauche, la rubrique «Vous êtes ici chez vous...» qui vous indiquera le nombre de visiteurs enregistrés depuis juillet 2010: auparavant nous ne disposions d'aucun chiffre).
(3) Voir notre précédent message: «Démocratie. Ultime avertissement avant liquidation».
(4) Voir, en lien, la vidéo «Trump Singing Leonard Cohen's "Democracy is Coming"». 



jeudi 10 novembre 2016

Démocratie. Ultime avertissement avant liquidation








Après la Hongrie, 
la Pologne 
la Turquie
ou la Russie, 
les Etats-Unis... 
aura-t-elle raison 
de la démocratie?
Cette dernière, 
en tout cas, 
se retrouve confrontée 
à l'une des plus graves crises de son Histoire.
Car ne tournons plus autour du pot:
face à l'envahisseur fanatisé
par les sirènes de la violence psychique et/ou physique,
le régime politique qui nous reste cher
se retrouve aujourd'hui en péril.
Et une question de tarauder
les dissidents de la pensée ouverte et de l'inclusion:
n'est-il pas déjà trop tard?
Hommage de Leonard Cohen (1)
à celle dont on commence à se demander 
si, dans sa version authentique à tout le moins, 
il ne faudra pas bientôt la qualifier 
de «chère disparue»...


«Elle émane d'un trou d'air,
depuis ces nuits de Tiananmen Square.
Elle émane du sentiment
qu'elle ne peut être tout à fait réelle,
ou alors qu'elle est réelle mais pas vraiment là.
Elle émane des guerres contre le désordre,
des sirènes qui hurlent jour et nuit,
des feux du sans-abri,
des cendres de l'homo:
la démocratie s'en vient aux U.S.A.

Elle émane d'une brèche dans le mur,
sur un flot d'alcool visionnaire,
du récit bouleversant
du Sermon sur la Montagne
que je ne prétends pas du tout comprendre.
Elle émane du silence
sur les quais de la baie,
de l'âme courageuse, intrépide et cabossée
de la Chevrolet:
la démocratie s'en vient aux U.S.A.

Elle émane du chagrin de la rue,
des lieux saints où se rencontrent les races,
des jérémiades homicides
qui envahissent chaque cuisine
quand il s'agit de savoir qui va servir et qui va manger;
des puits de déceptions
où les femmes s'agenouillent pour prier
la grâce de Dieu dans le désert du tout proche
et dans le désert du grand lointain:
la démocratie s'en vient aux U.S.A.

Vogue, vogue,
la galère puissante de l'Etat,
vers les rivages de la nécessité,
entre les écueils de l'avidité
et les bourrasques de la haine.
Vogue, vogue, vogue, vogue...

Elle arrive d'abord en Amérique,
berceau du meilleur et du pire.
C'est ici que rode l'éventail
et les rouages du changement.
Ici aussi la soif spirituelle.
Ici encore la famille éclatée.
Et ici le solitaire qui préconise
que le coeur s'ouvre
fondamentalement:
la démocratie s'en vient aux U.S.A.

Elle émane des femmes et des hommes.
Oh, ma chérie! Nous allons refaire l'amour.
Nous allons nous plaire si intensément
que la rivière en pleurera
et que les montagnes s'écrieront "Amen!".
Elle apparaît comme le flot de la marée
sous le balancement de la lune,
impériale et mystérieuse,
en un amoureux tableau:
la démocratie s'en vient aux U.S.A.

Vogue, vogue,
la galère puissante de l'Etat,
vers les rivages de la nécessité,
entre les écueils de l'avidité
et les bourrasques de la haine.
Vogue, vogue, vogue, vogue...

Je suis sentimental, si vous voyez ce que je veux dire.
J'aime ce pays, mais je n'en supporte pas le décor.
Je ne suis ni de gauche ni de droite,
je reste simplement chez moi ce soir,
me perdant dans ce petit écran désespérant.
Mais je suis têtu comme ces sacs de légumes
que le temps n'arrive pas à faire pourrir.
Tout voyou que je sois,  je n'en continue pas moins à tenir bien haut
ce petit bouquet de fleurs sauvages:
la démocratie s'en vient aux U.S.A.» (1)



Leonard Cohen



(1) Cohen Leonard, Democraty, Sony Music Entertainement Inc., 1992.


samedi 5 novembre 2016

Néolibéralisme. Pour la petite Histoire...




                              
Mises et Hayek 
l'ont inventé.
Friedman l'a aiguisé.
Thatcher et Reagan 
l'ont appliqué.
Comment 
le néolibéralisme 
a-t-il réussi à tisser sa toile 
en toute discrétion?
Réponse de George Monbiot, 


«Paris, 1938.
Au Colloque Walter Lipman, le terme de "néolibéralisme" est mis sur les fonts baptismaux. 
Parmi les délégués, deux hommes oeuvrent particulièrement à préciser le contour de cette idéologie.
Leurs noms? 

Ludwig von Mises et Friedrich Hayek
Tous deux sont exilés d'Autriche.
Tous deux appréhendent avec sévérité le "
New Deal" de l'Américain Franklin Roosevelt et ce "welfare" qui n'en finit pas de se développer en Grande-Bretagne.
Tous deux 
voient la social-démocratie comme la manifestation d'un collectivisme qu'à leurs yeux il conviendrait de rapprocher du nazisme et du communisme... 

Hayek et l'Internationale néolibérale

Dans "La Route de la servitude", Hayek défend l'idée que toute forme de planification gouvernementale conduit inexorablement à un écrasement de l'individualisme et, de là, à la main-mise d'un contrôle social de type totalitaire.
Dans la ligne d'un livre de Mises répondant au nom de "
Bureaucratie", cet ouvrage
 publié en 1944 bénéficie d'un large lectorat. 
Il retient notamment l'attention de certains des plus nantis, qui voient dans la philosophie néolibérale l'occasion rêvée de se dédouaner de toute obligation réglementaire et fiscale.
Au point qu'en 1947, année de naissance du premier outil de promotion de la nouvelle doctrine -la "
Société du Mont Pelerin"-, 
Hayek se voit soutenu par les arguments sonnants et trébuchants de plusieurs millionnaires et de leurs fondations. 
De quoi mettre le pied à l'étrier d'un de ses grands projets: la création de ce que Daniel Stedman Jones décrit dans "Les Maîtres de l'Univers" comme "une sorte d'Internationale néolibérale", à savoir un réseau transatlantique d'universitaires, d'hommes d'affaires, de journalistes et de militants. 
Bingo!
Les confortables bailleurs de fonds du mouvement financent une série de groupes de réflexion chargés d'affiner et de promouvoir la précieuse idéologie.
L'
American Enterprise Institute par exemple.

Ou alors la Heritage Foundation, le Cato Institute, l'Institut des Affaires Economiques, le Centre des Etudes Politiques, l'Institut Adam Smith... 
Des alliés d'autant plus précieux qu'ils délieront également les cordons de la bourse quand il s'agira de créer postes et départements universitaires à Chicago, en Virginie et ailleurs

Friedman ou le néolibéralisme à la puissance deux

Ce n'est qu'un début.

Avec le temps, le messie néolibéral gagne en virulence. 
Des apôtres américains comme Milton Friedman débordent en effet la grande idée de Hayek selon laquelle les gouvernements devraient réglementer la concurrence pour empêcher la formation des monopoles.
Place, donc, à une croyance plus radicale.
Qui tend, désormais, à faire de la situation monopolistique une récompense à l'efficacité. 

Mais où est donc passé le néolibéralisme?

Autre évolution majeure liée à cette période de transition: le mouvement perd son nom.
Peu après cette année 1951 qui voyait toujours Friedman s'assumer avec délectation comme néolibéral, le terme commence à se raréfier.
Et pourtant...

Alors même que l'idéologie se fait plus affûtée et le mouvement plus cohérent, rien n'est prévu pour compenser une telle discrétion. 
Vous avez dit bizarre?

Keynes fait de la résistance

Dans un premier temps, en dépit du faste de sa promotion, le néolibéralisme reste marginal.
Et pour cause...

Dans l'après-guerre, le consensus se construit à peu près universellement autour des prescriptions économiques de John Maynard Keynes.
Qui sont largement mises en oeuvre.

C'est l'époque bénie du keynésianisme:
. les objectifs du plein emploi et de la réduction de la pauvreté font l'unanimité à la fois aux États-Unis et dans la majeure partie de l'Europe occidentale;
. les maxima des taux d'imposition ne se privent pas de grimper;
. les gouvernements clament haut et fort leur volonté d'obtenir des résultats sociaux via le développement de nouveaux services publics et de filets de sécurité. 


Petit à petit

Pourtant, dans les années 1970, ces politiques commencent à tomber en désuétude.

L'heure des idées néolibérales a sonné.
Dès lors que la crise économique frappe des deux côtés de l'Atlantique,  elles commencent à infiltrer le grand public.
"Au moment où l'occasion se présentait de changer d'orientation,... une alternative était là, toute prête, qui attendait.

Explique un Friedman tout sourire. 
Les conséquences, il est vrai, ne se font pas attendre...

Portées par le double soutien des journalistes sympathisants et des conseillers politiques, des bribes de néolibéralisme -à commencer par ses recommandations en matière de politique monétaire- sont adoptées par l'administration américaine de Jimmy Carter et par le gouvernement britannique de Jim Callaghan.

L'heure de la consécration


L'arrivée au pouvoir de Margaret Thatcher et Ronald Reagan fera le reste.

Bonjour les réductions d'impôts massives pour les plus aisés.
Bonjour le concassage des syndicats.
Bonjour les dérégulations.
Bonjour les privatisations.
Bonjour les politiques d'externalisation et de concurrence dans les services publics.

Au travers des Fonds Monétaire International, Banque mondiale, traité de Maastricht et autre Organisation Mondiale du Commerce, les politiques néolibérales s'imposent un peu partout dans le monde. 

Souvent sans consentement démocratique.
Souvent aussi avec l'adhésion des partis qui appartenaient autrefois à la gauche, "Labour" ou "Démocrates" en tête. 

Au point de déboucher sur un implacable constat, signé Stedman Jones...
"Jamais autre utopie n'a réussi à s'incarner aussi pleinement dans la réalité."
» (1)

(A suivre)

George Monbiot


(1) Traduction de la deuxième partie de: Monbiot George, Neoliberalism- the ideology at the root of all our problems, in The Guardian, 15 avril 2016. La suite sera publiée dans les prochains jours. Les chapeau, illustrations et intertitres sont de la rédaction.