samedi 28 septembre 2013

La tyrannie de l'excellence



assure l'anthropologue belge Paul Jorion.
Quelle que soit la pertinence 
que l'on attribue à cette assertion,
voici, en tout cas, venu 
pour la plupart d'entre nous 
le temps d'un triple constat...
Celui, d'abord, de l'emploi à tout prix.
Celui, ensuite, de l'impératif d'une motivation à tout crin.
Celui, enfin, de «la tyrannie de l'excellence».
Si bien décrite par le philosophe français Michel Lacroix (1)...

En matière de potentiel humain, chacun fait avec ses armes.
Que l'on peut regrouper en deux grandes catégories.
Celle des aptitudes.
Et celle des motivations (1).
Tels sont en effet les deux moteurs de la réalisation personnelle.

Indispensable préalable

Reste, évidemment, à décliner ce postulat.
Côté aptitudes en effet, mes capacités peuvent être réelles ou perçues. 
Et côté motivations, ce que je prends pour mon propre désir n'est souvent que celui des autres, et plus particulièrement celui de mes parents. 
«Cela soulève le problème du travail d'introspection qui est un préalable indispensable à la réalisation de soi, écrit Michel Lacroix (2).
Car mon potentiel ne va pas s'épanouir tout seul...

Il est souvent freiné, entravé, bloqué...
Le grand mérite des spécialistes du développement personnel a été d'attirer l'attention sur ces phénomènes de blocages.
L'outil d'analyse dont ils se servent pour les décrire est le concept de pensée limitante.» (3)

Labourer le champ de la conscience

Les «pensées limitantes» surgissent de façon automatique dans mon champ de conscience.
Mais je peux m'y attaquer afin de les remplacer par des «pensées stimulantes» qui, au lieu d'entraver mon potentiel, le libéreront.
«De sorte que le travail sur soi préconisé par le développement personnel, se déroule, logiquement, en deux étapes: 
. en premier lieu, un travail de déprogrammation mentale, 
. en second lieu un travail de reprogrammation mentale visant à installer ces pensées stimulantes, facilitantes, libératrices.»  (3)
Cette démarche, c'est ce qu'on appelle la «pensée positive».

Halo ? Mais halo, quoi....

Une question se pose pourtant...
Choisit-on vraiment d'être motivé? 
On peut «faire effort», oui. 
On peut travailler sur soi, certainement. 
Mais le moment venu, n'est-on pas contraint de chercher à changer d'approche et/ou d'orientation... en espérant que la vie et les circonstances (voire l'entourage) y autorisent, ce qui n'est pas toujours le cas? 
Attention, donc, à ce que Lacroix appelle «la tyrannie de l'excellence»...
«Le potentiel humain est une idée riche et stimulante.» (4)
Mais il «reste, à bien des égards, une notion floue. 
De multiples interrogations surgissent à son sujet. 
Par exemple: le potentiel est-il présent dès la naissance dans la constitution héréditaire de l'individu, ou bien est-il le fruit du milieu familial, éducatif, social?
Est-il inné ou acquis?
Avons-nous tous les mêmes capacités, les mêmes ressources?
Anthony Robbins, un des chefs de file du développement personnel aux Etats-Unis, assure que "chacun de nous peut devenir un sportif de haut niveau, un chef d'entreprise, un savant, un musicien".
C'est vite dit!
Cette affirmation ressemble plus à un slogan publicitaire conçu pour attirer les clients qu'à une assertion scientifique.
Ne nous le dissimulons donc pas: il y a autour du potentiel un halo d'incertitude.» (5) 

Bien médiocrement acquis ne profite jamais

On comprend, dans ces conditions, que le potentiel humain puisse aisément conduire à des excès. 
La réalisation de soi, alors, cesse d'être simplement une invitation pour prendre le visage désagréable de l'injonction. 
Or, dans le même temps, elle propose des objectifs trop élevés qui, loin d'améliorer la situation psychique de l'individu, contribuent à l'aggraver.
«Au XIXe siècle, l'individu était préoccupé, voire obsédé, par l'opposition du Bien et du Mal, considère Lacroix. 
La situation psychique de l'individu du XXIe siècle est fort différente.
L'individu actuel craint moins de transgresser les interdits que de ne pas être à la hauteur des exigences, souvent exorbitantes, qu'il s'impose à lui-même. (...)
Il est tourmenté à l'idée de rester en deça de ses possibilités. (...)
Il craint de ne pas répondre à l'image idéale d'un être performant, toujours jeune, toujours en forme, optimiste, positif , "au top", capable de relever tous les défis professionnels. (...)
Jadis, l'opposition Bien/Mal était prédominante.
Aujourd'hui, l'opposition Excellence/Médiocrité a pris le relais.
(...)
L'individu du XIXe était persécuté par son surmoi.
L'individu du XXe est persécuté par son idéal du moi.» (6)
Tel est devenu le monde occidental.
En particulier pour ce qui est du travail...
Un univers où le possible se fait impératif.
Et même, souvent, insuffisant... 

C.E.

(1) L'idée, dans ce message, n'est pas d'approfondir le concept de motivation au-delà de ce qu'en écrit Michel Lacroix. Permettons-nous cependant d'esquisser ici qu'il peut faire écho à l'intérêt-convoitise (qui renvoie à un ego socialement négatif et donc demande à être régulé), mais aussi à l'intérêt-curiosité (qui, relevant de la singularité socialement positive, est à préserver)
(2) Le Français Michel Lacroix est agrégé de philosophie, maîttre de conférence des Universités et spécialiste du développement personnel.
(3) Lacroix Michel, Philosophie de la réalisation personnelle. Se construire dans la liberté, Paris, Robert Lafont, 2013, pp.55-56. 
(4) Lacroix Michel, idem, p.60.
(5) Lacroix Michel, idem, pp.44-45.
(6) Lacroix Michel, idem, pp.62-63.







Limiter au maximum les licenciements 


L’Allemagne a connu en 2009 une crise économique deux fois plus grave que notre pays. 
Pourtant, malgré un choc économique 2 fois plus fort, le chômage a augmenté 6 fois moins en Allemagne qu’en France (1)

Comment expliquer ce «miracle»? 
Les syndicats allemands sont allés voir Angela Merkel pour exiger que le licenciement devienne un dernier recours et que la règle générale soit de garder le maximum de salarié(e)s, le maximum de compétences, dans l’entreprise en développant le Kurzarbeit. 

Le Kurzarbeit? 
Le principe est très simple: au lieu de licencier 20 % des effectifs, une entreprise qui voit baisser son chiffre d’affaires de 20 % va baisser son temps de travail de 20 % et garder tous les salariés. 
Le salaire baisse mais l’Etat maintient le revenu. 
Et cela revient moins cher de maintenir le revenu d'un salarié qui baisse son temps de travail que de financer un chômeur si l’on tient compte de tous les coûts induits et les pertes de rentrées fiscales et sociales. 

Le 23 janvier 2011, le Ministère du travail allemand a rendu public un bilan assez complet du Kurzarbeit: il a concerné 1.500.000 salariés qui, en moyenne, ont baissé de 31 % leur temps de travail. 
Si l’on pense que le monde rentre dans une nouvelle récession ou dans une période de croissance très faible, il est vital pour notre cohésion sociale de tout faire pour limiter les licenciements en s’inspirant très vite et très fortement de ce qui a été fait en Allemagne depuis 2008. 
Cela va évidemment à l’encontre du "travailler plus" de Nicolas Sarkozy mais cela peut éviter des centaines de milliers de licenciements. 

(1) L’évolution du chômage est calculée entre le point bas de la courbe (le moment où le chômage commence à augmenter à cause de la crise) et le point haut (le moment où il commence à se stabiliser ou à diminuer). 





Limiter au maximum les licenciements 
en renforçant les mécanismes de sauvegarde de l’emploi 


En 2009, au lendemain d’une crise financière de très grande ampleur, la Belgique, comme l’Allemagne, ont connu une très faible augmentation du chômage et ont assuré un maintien du niveau de l’emploi, alors qu’en Espagne le chômage explosait pour atteindre un quart des actifs et plus de la moitié des jeunes. 

Comment expliquer cette meilleure résistance à la crise en comparaison des autres pays de l’Union Européenne? 

En Allemagne, les syndicats ont limité les licenciements et obtenu le KurzArbeit, dispositif qui permet à une entreprise qui voit baisser son chiffre d’affaires de 20 %, de ne pas recourir au licenciement de 20% de ses effectifs mais de baisser son temps de travail de 20 % et garder ainsi tous les salariés. 
Une contribution de l’Etat compense la perte de salaire et permet le maintien du revenu. 
Il revient moins cher de maintenir le revenu d’un salarié qui diminue son temps de travail que de financer un chômeur. 

En Belgique, l’extension du chômage temporaire déjà en vigueur pour les ouvriers a été étendue aux employés. 
Ce système permet, en cas de baisse d’activité, de suspendre le contrat de travail pendant un certain temps, la rémunération du salarié étant prise en charge par le chômage avec une compensation pour la perte de rémunération payée par l’entreprise. 
Moyennant une faible perte temporaire de salaire, l’emploi a ainsi été sauvegardé. 

En Belgique comme en Allemagne, c’est la dissuasion du recours aux licenciements et la diminution du temps de travail par un système de chômage partiel qui ont permis le maintien de l’emploi et du pouvoir d’achat des salariés pour soutenir l’activité économique.
Il faut donc renforcer ces mécanismes plutôt que de les remettre en question au nom de la course à la compétitivité.