mercredi 14 avril 2010

Economie. Décroissants au petit déjeuner.



Du journal parlé matinal
aux propos
de café vespéraux,
la décroissance est partout.

Mais de quoi parle-t-on exactement ?


Christophe Engels



Elle est sur toutes les lèvres un tant soit peu intellectuelles et associatives.
Et, de là, elle se fait sa petite place médiatique.
La décroissance est partout.
Mais que l’on creuse un tout petit peu sous la surface et un constat, trop souvent, de se faire jour: cette notion est ambiguë.
D’où l’urgence d’un questionnement: à quelle réalité fait-on référence?
. A la décroissance de l’empreinte écologique, qui renvoie à l’impact de mon mode de vie sur la planète?
. A celle du Produit Intérieur Brut (PIB) qui mesure la richesse marchande (1)?
. A une autre encore?
Tranchons dans le vif. Puisqu’il semble bien que le concept en question trouve son intérêt majeur dans la deuxième de ces options sémantiques, misons sur celle-ci. Nous aurons ainsi commencé à cadrer le sujet.
Commencé seulement. Car l’ambiguïté n’aura ainsi été dissipée que partiellement. Restera en effet une série de réponses à apporter.
. La décroissance suppose-t-elle nécessairement un indicateur de croissance négatif (en dessous de zéro)?
. Ou bien englobe-t-elle également l’idée d’un simple ralentissement?
. Autrement écrit, l’exemple d’une évolution de la croissance du PIB de «+ 2» à «+ 1» illustre-t-il un cas de décroissance?
. Et quid de la «croissance» zéro?

Flou... amphigourique ! ( 2)

Ambiguïté. Ambiguïté encore. Ambiguïté toujours…
C’est que le terme n’a rien de rigoureusement académique. De l’aveu même de l'un de ses principaux promoteurs, Serge Latouche (3), il relève au contraire du slogan, de la provocation, du «mot-obus». Le but du jeu? Interpeller le commun des mortels, sensibiliser le citoyen, pulvériser la pensée économiste dominante. Objectif «com’», donc, plus encore qu’objectif économique, la croissance négative du PIB n’étant pas nécessairement visée en tant que telle.
«La décroissance n’est pas la croissance négative, confirme le Français. Il conviendrait de parler d’«a-croissance», comme on parle d’athéisme. C’est d’ailleurs très précisément de l’abandon d’une foi ou d’une religion (celle de l’économie, du progrès et du développement) qu’il s’agit.» (3).
Nous voilà donc renseigné. La décroissance, dans ce cas, ne peut avoir d’autre objet que celui de s’attaquer au «toujours plus».

Ses quatre vérités

Il paraît judicieux, dans ces conditions, de nous risquer à proposer une dénomination adaptée à chacun des quatre objectifs possibles…
. L’«hyper-croissance», ce serait le but de la fameuse «obsession de croissance», appréhendée comme un impératif absolu et jamais réellement satisfait. La croissance, oui. Mais pas n’importe laquelle. La croissance pour la croissance. La croissance à tout prix. La croissance maximalisée. La croissance infinie, illimitée, obsessionnelle.
. La «(simple) croissance» renverrait au résultat d’un indicateur PIB en positif. Croissance impérative, certes, mais aussi limitée, régulée, relativisée.
. L’«a-croissance», ce serait une décroissance relative. C’est-à-dire la visée d’un refus opposé à l’hyper-croissance, d’un veto dressé à l’encontre de l'«obsession de croissance». Une version «légère» de l’«objection de croissance» en quelque sorte. Qui n’aurait rien de nécessairement incompatible avec la (simple) croissance.
. La «décroissance (absolue)», enfin, ramènerait à l’impératif d’un indicateur PIB en négatif. Soit une interprétation «lourde» de l’«objection de croissance». Qui, loin de se contenter de diaboliser l’hyper-croissance, refuserait aussi toute «compromission» avec la (simple) croissance.

Grand écart

Reste que si une telle conceptualisation permettrait sans doute de clarifier le débat, elle ne suffirait certainement pas à accorder tous les points de vue.
Dans les milieux de la simplicité volontaire (4) par exemple, deux écoles n’ont manifestement pas fini de s’opposer en la matière.
. Celle de la décroissance (absolue) prônée, en Belgique, par un Ezio Gandin (président de l’association «Les Amis de la Terre») ou par un Pierre Pradervand (initiateur des ateliers «Vivre autrement»).
. Celle de l’a-croissance (décroissance relative, donc) portée par une Isabelle Cassiers (économiste UCL), qui souligne que les services interviennent à concurrence de deux tiers dans le PIB.
Le milieu du développement durable, en revanche, ferait plutôt le grand (mais sans doute plus conciliable) écart entre les approches spécifiques de la (simple) croissance et de l’a-croissance pour rencontrer l’objectif qu’on lui connaît: satisfaire «aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs.» (5).
Cette famille de pensée - sur laquelle on aura l’occasion de revenir - semble donc plus unanime que la précédente dans le choix de concilier ses priorités propres avec la croissance économique qui fonde le traditionnel modèle de développement occidental.
De quoi faire écrire à Emeline De Bouver (6): «La simplicité volontaire est régulièrement assimilée au développement durable alors que, dans ses principes, elle y est plutôt opposée puisqu’elle défend une philosophie de la décroissance ou de l’a-croissance.» (7)

Christophe Engels

(1) Sur les notions de PIB et de croissance, on lira avec grand intérêt les passionnants commentaires de l’économiste Isabelle Cassiers (UCL). Prochainement sur ce blog.
(2) «Amphigourique» : embrouillé, inintelligible.
(3) Latouche Serge, Petit traité de la décroissance sereine, Édition Mille et une nuits, Paris, 2007.
(4) Voir nos précédents commentaires.
(5) Commission Mondiale sur l’Environnement et le Développement, Notre avenir à tous, Québec, éditions du Fleuve, p.51.
(6) De Bouver Emeline, Moins de biens, plus de liens. La simplicité volontaire. Un nouvel engagement social, Couleur Livres, Charleroi, 2008, p.42.
(7) Pour suivre (sous réserve d’éventuelles modifications de dernière minute) :
. «Economie. Changement de cap.» (Isabelle Cassiers),
. «Economie. Le tri de la croissance.» (Isabelle Cassiers),
. «Economie. Ce qui compte et ce que l'on compte.» (Isabelle Cassiers et Géraldine Thiry),
. «Economie. Dégrippons la boussole!» (Isabelle Cassiers)...

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