jeudi 31 mai 2012

Actu. Le fabuleux destin du Siréas


Cinquante ans! 
Cinquante ans déjà que l'association 
qui allait prendre le nom de Siréas 
entamait, en Belgique, son combat
contre la désespérance au quotidien.
Celle des populations les moins favorisées.
A commencer par les travailleurs immigrés 
et les réfugiés politiques.
Un demi-siècle, donc. 
Qui fait office de fabuleux destin.
Et qui se fête. 
Ce samedi deux juin, à Bruxelles.   

«Nous vous attendons.
We are waiting for you.

U verwacht.

Wir warten auf dich.

u verwacht.
ЖДЁМ ВАС.
ЧЕКАЄМО ВАС.
ЧЕКАЕМ ВАС.
ОЧАКВАМЕ ВИ.
ТЕ ЧЕКА.
ΣΑΣ ΠΕΡΙΜΕΝΕΙ.
CZEKAMY NA CIEBIE.
ČEKÁNÍ NA VÁS.
ČAKANIA NA VÁS.
ČЕКАMО VAS.
GAIDAM JUS.
OOTAME TEID.
ÖNRE VAR.
AŞTEPTARE PENTRU TINE.
..»
Ce samedi, à Bruxelles, le Siréas (Service International de Recherche, d'Education et d'Action Sociale) fête son cinquantième anniversaire.
Dans toutes les langues...

Il était une fois le Siréas...

Cinquantième anniversaire?
Oui. 
Car en mai 1962, la petite Belgique est confrontée à l’arrivée d’une foultitude de travailleurs immigrés et de réfugiés politiques. 
A l’époque, le marché de l’emploi fait heureusement un appel abondant à la main d’œuvre étrangère. 
Mais de nombreux problèmes se posent déjà… 
Pas nécessairement facile d’obtenir un permis de travail! 
Pas toujours évident d’accéder au permis de séjour! 
Souvent difficile de trouver un logement…!
Autant de soucis qui justifient la création de celui qui, plus tard, prendra le nom de Siréas. 
La première pièce d’un «puzzle» associatif est posée.
Un puzzle appelé, cinq décennies plus tard, à regrouper huit pièces différentes...

1. Service Social: la pierre angulaire

Pierre angulaire du Siréas, le Service Social s’est donné pour mission d’assurer un accueil de qualité.
Il couvre un champ d’activités extrêmement large. 
Citons par exemple l’information sur les droits et devoirs du plat pays. 
Ou alors l’assistance à diverses démarches administratives et sociales
 
2. Service Social International: allo, le monde?
 
Actif dans 140 Etats du monde, le Service Social International (SSI) apporte notamment une aide à celles et ceux qui rencontrent des problèmes personnels ou familiaux nécessitant une intervention coordonnée entre deux ou plusieurs pays.
Au menu, prioritairement: des recherches d’origine ainsi que de la médiation et des contentieux d’autorité parentale.

3. Aide aux justiciables: assouplir les barreaux

L’aide aux justiciables s’adresse aux détenus et ex-détenus d’origine étrangère.
Elle est délivrée par un service dont la mission est d’apporter un soutien moral, social, psychologique, matériel et culturel aux intéressés ainsi qu’à leurs proches. 
Et aussi d’offrir des réponses diversifiées aux demandes spontanées d’aide et d’assistance. 
Une façon pour le détenu de maintenir le contact avec le monde extérieur. 
De réduire son sentiment d’isolement. 
De résoudre différents problèmes concrets. 
Ou de faciliter sa réinsertion au moment de sa libération.
 
4. Formation professionnelle: objectif emploi!

Le service d’Insertion Socio Professionnelle (ISP) regroupe une série de centres de formation professionnelle pour jeunes immigrés...
. Centre des Etangs Noirs qui offre des apprentissages en  mécanique, en électricité, en menuiserie, en bâtiment et, plus tard, en plomberie.
. Centre de formation en Textile et Cuir.
. Centre de formation en bureautique.
. Centre de formation en Horeca.
 
5. Formation et Aide aux Entreprises: 
non à la marginalisation!

En 1984, un programme de Lutte contre la pauvreté est développé en faveur des réfugiés originaires de Turquie et de Syrie (Arméniens et Araméens). 
Soit près de 5.000 personnes à Bruxelles. 
Auxquelles on voudra éviter de tomber dans le schéma classique de cette marginalisation que l’on sait engendrée par le chômage et la dépendance aux circuits d’assistance.
Cette action « tous publics » se déclinera à plusieurs niveaux: social, économique et culturel.
 
6. Service juridique: la chasse à l’abus
 
Dans l’intervalle, en 1972, c’est au tour des juristes de monter en piste. 
Au programme: permanences tenues par des spécialistes du droit des étrangers, aide juridique aux consultants, conférences ateliers et formations dispensés dans le souci de contribuer à l’échange d’expertises…
Depuis lors, le service juridique du Siréas poursuit ses démarches d’accompagnement et d’information à destination d’un public varié, quoique généralement d’origine(s) étrangère(s).
Une multitude de dossiers sont ouverts, principalement pour des questions liées au séjour, à la protection internationale, aux permis de travail ou à la nationalité.
A noter qu'une nouvelle loi portant sur les règles applicables au regroupement familial a récemment conduit le Siréas, en synergie avec d’autres associations, à introduire auprès de la Cour constitutionnelle de Belgique un recours en annulation partielle. 
 
7. A votre bonne santé…

Au début des années 1970, on a pris conscience que les immigrés et réfugiés ne sont pas nécessairement préparés à se prémunir contre des maladies spécifiquement liées à certaines conditions de vie: logement insalubre, moyens d’existence limités, travail dur et malsain… 
D’où l’idée d’organiser, dès 1974, des activités d’information et de prévention.
Ce n’est qu’un premier pas.
En 1986 sera fondé le Siréas/IST-Sida
Son but: développer dans la partie francophone du pays des programmes de prévention contre les VIH-Sida et autres Infections Sexuellement Transmissibles (IST). 
Le tout en tenant compte des spécificités des populations migrantes.

8. Éducation Permanente: esprit critique, es-tu là?

Le service d’Education Permanente cherche à donner aux citoyens des clés dont on espère qu’elles leur permettront d’accéder au statut d’acteurs engagés dans une démarche collective en faveur d’un changement de la société.
Pour ce faire sont régulièrement organisés une multitude d’animations, débats et projets en tous genres.
Autant d’activités ouvertes à tous, et en particulier aux populations d’origine étrangère, qu’elles soient nées, installées depuis longtemps ou récemment arrivées en Belgique.
Autant d’occasions d’aguerrir l’esprit critique.
Autant d’incitations à exercer droits sociaux, culturels, environnementaux et économiques.
 
Bon anniversaiiiire...

Huit pièces de puzzle et un demi-siècle plus tard, le Siréas soufflera donc ce samedi deux juin ses cinquante bougies. 
Au programme: 
. des stands d’information,
. une fanfare (La musique à Papa, à 10h et l'après-midi),
. une animation musicale (flûtiste, entre 11h30 et 12h30) ,  
. des danses rwandaises (ballet Umutsama de 13h30 à 15h30) et arméniennes (16h),
. des stands origamis (de 14h  à 16h),
. des stands de marionnettes (à 14h30 et 15h30 (spectacle de 10 minutes)),
. une petite restauration...
Et, sans doute, beaucoup de bonne humeur.

Christophe Engels

En bref...
Quoi?
Le cinquantième anniversaire du Siréas.
Qui?
Le Siréas (Service International de Recherche, d'Education et d'Action Sociale).
Quand?
Samedi deux juin 2012,
de 10h à 17h.
Où?
Rue de la Croix 40, 
1050 Bruxelles 
(sur le parking de l'athénée royal d'Ixelles).
Mais encore...
www.lesitinerrances.com

mardi 29 mai 2012

Déliance sociale. Les rationalisations déliantes.

La déliance sociale est conséquence 
de la rupture des liens humains fondamentaux.
Car l'individu de notre temps ne se sent plus relié
ni aux autres, 
ni à lui-même, 
ni à la terre, 
ni au ciel.
D'où la quadruple déliance  
que décrit Marcel Bolle de Bal (1):
celle, «socio-écononomique», d'un emploi menacé,
celle, «socio-technique», d'un travail «rationalisé»,
celle, «socio-psychologique», d'un travailleur isolé,
et celle, «socio-organisationnelle», d'un pouvoir éclaté...

Marcel Bolle de Bal

Les diagnostics concernant notre système social vont tous dans le même sens, nous vivons à l’ère de la foule solitaire pour Reisman, de la fourmilière d’hommes seuls pour Camus, de la solitude collective pour Martin Buber.

Emiettée, éclatée, désagrégée, morcelée, sérialisée, telle apparaît notre société aux yeux des observateurs les plus avertis. 
Tous ces épithètes renvoient à un phénomène de base: celui de la désintégration communautaire, de la dislocation des «groupes sociaux primaires» –la famille, la paroisse, le village, l’atelier– au sein desquels se réalisait traditionnellement la socialisation des futurs adultes. 
A la base de ce mouvement apparemment irréversible: la raison et ses applications dans les domaines les plus divers, sous forme de «rationalisations» scientifiques, techniques, économiques et sociales (industrialisation, urbanisation, production et consommation de masse, organisation «scientifique» du travail, etc.).

Mais cette raison-là est déraisonnable: elle porte en elle le germe de ce qui peut être perçu comme une nouvelle maladie, la déliance, conséquence de la rupture des liens humains fondamentaux.

Cette rupture, dont souffrent les êtres de notre temps, est polymorphe.

Ils ne sont plus reliés aux autres, si ce n’est par des machines: la chaîne pour les producteurs, la télévision pour les consommateurs.

Ils ne sont plus reliés à eux-mêmes: les frénésies de la carrière, de la consommation, de l’information surabondante ne leur laissent plus le temps de s’interroger sur leur être profond, sur le sens de leur vie.

Ils ne sont plus reliés à la terre : les espaces verts sont dévorés par le bitume des villes bétonnantes.

Ils ne sont plus reliés au ciel : Dieu ne semble pas répondre aux appels angoissés qui lui sont adressés.

Déliés, déconnectés, disjoints, marqués par ces carences de «reliance» (2), ils apparaissent
comme le fruit social de leur propre esprit, de leur propre science. 
La déliance sociale est l’enfant pervers de la raison scientifique.

Les nouvelles technologies accentuent dramatiquement ces phénomènes de déliance sociale, culturelle, humaine. 
Elles sont porteuses d’une double réalité contradictoire, paradoxale: elles développent la reliance technique mais dissolvent la reliance humaine; elles multiplient les possibilités d’informations et de communications mais aggravent le problème de l’information et de la communication.

Cette maladie de déliance –antérieure à l’apparition de nouvelles technologies, mais rendue plus aiguë par leur croissance exponentielle– se développe dans cinq directions: socio-économique (l’emploi), socio-technique (le travail), socio-psychologique (les communications), socio-organisationnelle (le pouvoir), socio-culturelle (les solidarités sociales).

Une déliance socio-économique: l’emploi menacé

Le travail-emploi constitue, dans notre système socio-économique, une structure de reliance fondamentale. 
Le travail, en effet, relie la personne des travailleurs:
- extérieurement, à l’ensemble du système de production (reliance socio-culturelle),
- intérieurement, à son instinct de création (reliance psychologique).

Avoir un emploi, c’est avoir un sens socio-économique, une existence socio-culturelle, une identifié socio-culturelle. 
Perdre son emploi, c’est vivre la rupture d’une double reliance, souffrir une double déliance.

En ce domaine, les prévisions sont très incertaines. 
L’hypothèse la plus optimiste prévoit une croissance économique à emploi constant et chômage accru: les nouvelles technologies sont donc à l’origine d’un grave problème de déliance socio-économique.

Une déliance socio-technique: le travail «rationalisé»

A bien des égards, les nouvelles technologies ne constituent qu’une étape dans le profond mouvement de rationalisation du travail sur lequel s’est construit le développement des sociétés industrielles.

Mais ces nouvelles technologies présentent sous cet angle une dimension originale: la rationalisation qui leur est associée n’est plus seulement d’ordre technique, elle est aussi et surtout sociale, socio-technique. 
Les nouvelles machines imposent à l’homme non seulement leur temps, leur rythme, leur cadence, mais aussi leur logique, leur langage, leur code. 
Elles s’interposent entre lui et sa pensée, sa culture, sa liberté. Elles répandent un langage abstrait; un langage de signes, un jargon ésotérique. 
Ainsi l’activité informatisée a-t-elle pu être qualifiée de «hiéroglyphique», sa transmission, son traitement, sa destination finale demeurent inconnus.

Rien d’étonnant, dès lors, à constater ce résultat paradoxal de la rationalisation : la rationalité absorbe et détruit la raison. 
L’irrésistible progression de la rationalisation peut être résumée dans une image: on est passé de la parcellisation du travail industriel à l’abstraction du travail informationnel.
L’informatisation du tertiaire s’accompagne, dans certains cas, d’une «taylorisation» du travail administratif.

Dans ce contexte se produit une coupure des liens affectifs entre le travailleur et un travail abstrait: la déliance socio-technique se double d’une déliance socio-psychologique.

Une déliance socio-psychologique: le travailleur isolé

Nous touchons ici une dimension essentielle du phénomène de déliance vécu par les travailleurs: la rupture des relations interpersonnelles, la déchirure du tissu social avec pour conséquence la naissance d’un sentiment d’isolement, de solitude.

Cet isolement est multiforme: isolement face aux consoles d’ordinateur, dans des cabines de contrôle, même pendant les pauses (il faut se relayer), isolement lié au travail posté (par équipes séparées) ou au travail à domicile (grâce à la téléinformatique).

Cet isolement de fait est source d’une solitude paradoxale: les hommes sont reliés par des techniques, non par le corps; ils sont connectés mais n’ont plus de relations (face-à-face). 
Les techniques de communication tuent la communication. 
Au fur et à mesure que croissent les reliances techniques, la reliance humaine, elle, décroît (songeons à tous ces répondeurs automatiques qui envahissent notre vie professionnelle et privée, ou encore au développement fulgurant des échanges «virtuels» via le Minitel ou Internet…).

Les nouvelles technologies développent les possibilités de communications fonctionnelles (les notes et informations circulant dans le système de production), au moment même où elles freinent les communications existentielles (les plus signifiantes en matière de reliance). 
Le «comment communiquer» l’emporte sur le «quoi communiquer».

La rationalisation, une fois de plus, se révèle irrationnelle: le succès des clubs et autres «groupes de rencontre», paradis plus ou moins artificiels d’échanges, de reliance et d’initiation, ne témoignent-ils pas du refoulement socio-culturel imposé par la logique aveugle des nouvelles technologies?

Une déliance socio-organisationnelle: le pouvoir éclaté

Un trait commun aux trois phénomènes de déliance déjà évoqués: le sentiment d’une perte de pouvoir réelle ou potentielle, qu’éprouvent les usagers de nouvelles technologies.

Cette perte de pouvoir est réelle, dans la mesure où la rationalisation entraîne un déclin de l’autonomie professionnelle non seulement des ouvriers d’entretien, des employés de bureau, des cadres en procès de prolétarisation: tous perdent le pouvoir qu’ils possédaient ou croyaient posséder au sein des structures anciennes.

La source de toutes ces déliances entre les ouvriers et leurs œuvres, entre les travailleurs, est à rechercher moins dans les innovations technologiques, que dans un système d’organisation (système structurant les relations de pouvoir) fondé sur une logique de division, de séparation, de déliance (division du travail, séparation de la pensée et de l’exécution, éparpillement des groupes sociaux, éclatement des structures de pouvoir): en ce sens nous pouvons parler à juste titre d’une déliance socio-organisationnelle, réalité sous-tendant les phénomènes si souvent évoqués de la crise de l’autorité et de la crise de générations…

Une déliance socio-culturelle: les solidarités disloquées

Ce type de déliance marque tout particulièrement la classe ouvrière et les organisations syndicales qui souhaitent en canaliser l’énergie.

Les nouvelles technologies isolent les travailleurs, déchirent le tissu social, diversifient les espaces et temps de travail, multiplient les catégories professionnelles: en cela elles réduisent les possibilités d’actions collectives, de situations fusionnelles où par contagion se construit l’esprit de corps, de solidarité affective et effective, de prise de conscience des rapports de classe, bref d’initiation aux luttes sociales. 
La classe ouvrière, dans les représentations dominantes véhiculées par les nouveaux média, cesse d’être une foule en lutte au coude à coude pour devenir une somme de travailleurs individuellement interrogés par sondages.

Face à cette déliance polymorphe, naissent et croissent des aspirations de re-liance, en particulier ces aspirations de reliance sociale évoquées par ailleurs: les individus déliés, isolés, séparés, aspirent à être reliés, et à être reliés autrement. 
Ces aspirations émergentes constituent, me semble-t-il, un enjeu social crucial pour notre société, pour nos politiques sociales… 
Enjeu actuellement pris en charge par le mouvement écologiste, dont les récents succès électoraux méritent à cet égard d’inciter à la réflexion. (3)(4)

(A suivre)

Marcel Bolle de Bal 

(1) Le (psycho)sociologue belge Marcel Bolle de Bal est professeur émérite de l'Université Libre de Bruxelles et président d'honneur de l'Association Internationale des Sociologues de Langue Française. Il a été consultant social (durant de nombreuses années), conseiller communal à Linkebeek, en périphérie bruxelloise (1965-1973, 1989-2000), lauréat du Prix Maurice van der Rest (1965). Il a signé plus de 200 articles et une vingtaine d'ouvrages, parmi lesquels...
. Les doubles jeux de la participation. Rémunération, performance et culture, Presses Interuniversitaires Européennes, Bruxelles, 1990;
. Wegimont ou le château des relations humaines. Une expérience de formation psychosociologique à la gestion , Presses Interuniversitaires Européennes, Bruxelles, 1998;
.
Les Adieux d'un sociologue heureux. Traces d'un passage, Paris, l'Harmattan, 1999;
. Le Sportif et le Sociologue. Sport, Individu et Société, (avec Dominique Vésir), Paris, l'Harmattan, 2001;
. Surréaliste et paradoxale Belgique. Mémoires politiques d'un sociologue engagé, immigré chez soi et malgré soi, Paris, l'Harmattan, 2003;
. Un sociologue dans la cité. Chroniques sur le Vif et propos Express, Paris, l'Harmattan, 2004;
. Le travail, une valeur à réhabiliter. Cinq écrits sociologiques et philosophiques inédits, Bruxelles, Labor, 2005;
. Au-delà de Dieu. Profession de foi d'un athée lucide et serein, Bruxelles,Ed. Luc Pire, 2007;
. Le croyant et le mécréant. Sens, reliances, transcendances" (avec Vincent Hanssens), Bierges, Ed. Mols, 2008.
(2)
Il s’agit de carences dans les médiations institutionnelles et structurelles devant assurer la création de liens entre l’individu et les systèmes dont il fait partie, liens donnant du sens à son existence. La recherche menée par notre équipe voici une vingtaine d’annéesa mis en évidence trois catégories de telles carences: des carences liées à la désorganisation des structures socio-économiques (marché de l’emploi), des carences liées à la surorganisation des structures techno-bureaucratiques (développement des institutions-choses), des carences liées à l’organisation des structures psychosociologiques (crise de l’autorité).

 (3) Le contenu de ce message nous a été envoyé par l'auteur, que nous remercions. Il constitue la septième partie d'un texte qui a déjà fait l'objet d'une publication: Bolle de Bal Marcel, Reliance, déliance, liance: émergence de trois notions sociologiques, in Sociétés 2003/2 (no 80), pp.99-131. Le solde du texte original suivra. Le titre et le chapeau sont de la rédaction.
(4) Pour suivre (sous réserve de modifications de dernières minutes): des messages consacrés
. au sous-système social de la déliance, puis à la liance (par Marcel Bolle de Bal),
. à la sociologie existentielle (par Marcel Bolle de Bal),

. au personnalisme (par Vincent Triest, Marcel Bolle de Bal...)....

vendredi 25 mai 2012

Actu. Créatifs Culturels: la vie de château.

Plus responsable.
Solidaire.
Durable.
Et porteuse de sens.

Telle est la société revendiquée 
par les «Créatifs Culturels».
Dont la branche belge 
organise 
un nouveau  
«rassemblement 
convivial et festif»
Histoire, cette fois, 
de «ré-enchanter la vie».
La vie de... château, en l'occurrence!
Rendez-vous le dimanche 3 juin, près de Bruxelles.

Il y a bien longtemps que les lecteurs assidus de ce Projet relationnel ne l'ignorent plus: les «rencontres des Créatifs Culturels» ont pour objectif de favoriser le contact entre des «créateurs de culture»
Elles visent à leur donner le sentiment de faire partie d'une même mouvance.
Et à leur offrir la possibilité 
. de faire l'expérience d'une nouvelle société,
. de participer à l'émergence concrète d'une nouvelle culture. 
L'édition 2012 ne fera pas exception à la règle: elle aura à nouveau vocation à créer un «espace de retrouvailles pour des femmes et des hommes qui, animés par un même ensemble de valeurs, adoptent au quotidien un ou des comportements novateur(s)»
. solidarité active, 
. écologie, 
. valeurs féminines, 
. spiritualité, 
. gestion de conflits, 
. développement personnel, 
. alternatives éducatives, 
. santé holistique, 
. économie créative, 
. simplicité volontaire, 
. multiculturalisme … 

Experts non admis, témoins bienvenus

Ecouter l'une ou l'autre personne «experte» et connue rendre compte de sa connaissance?
Il n'en sera même pas question!
Il s'agira au contraire de donner l'occasion de se rencontrer entre pairs et d'apprendre les uns des autres.
«Nous avons néanmoins fait appel à "des témoins", expliquent les organisateurs. 
Des personnes qui ont incarné dans leur vie le thème de la rencontre.
Des personnes qui viendront partager leur expérience.
Des personnes qui diront comment le fait d'enchanter ou de réenchanter sa vie contribue à l'émergence du monde auquel nous aspirons.»
Au programme:  écoute de «témoins privilégiés», donc, mais aussi
. partages entre pairs,
. moments musicaux offerts par des artistes,
. repas bio,
. évocation de ce qui peut être fait ensemble,
. appel à la créativité d'un «moment sonore» ou d'une «mise en mouvement»… 
A noter également: la présentation des premiers résultats d'une «enquête sur l'évolution des valeurs et des comportements»
Le tout sera emballé dans le bel écrin d'un sponsor de l'événement: le Château du Lac.
A Genval. 
Près de Bruxelles.  


En bref...
Quoi?
«Rassemblement convivial et festif» autour du thème «Ré-Enchanter la vie».
Qui?
Les Créatifs Culturels en Belgique.
Quand?
Le dimanche 3 juin de 10h à 18h30.
Accueil dès 9h30.  
Après 18h30: espace de danse libre et «enchantée».
Où?
Au Château du Lac de Genval (à vingt minutes de Bruxelles).
Combien?
. 15 euros, sandwiches bio, goûter et boissons compris. 
. 10 € pour les étudiants ou les personnes sans activités rémunérées.
Mais encore...
. «En fonction de la configuration des lieux dont nous disposerons, nous avons été amenés à mettre entre parenthèses le principe de "l'auberge espagnole" qui avait été un tel succès lors des rencontres précédentes. 
Nous prendrons donc en charge l'organisation du repas de midi, du goûter, et les boissons. 
Nous les rendrons aussi "enchanteurs" que possible, privilégiant le bio et le commerce équitable et/ou local. 
Nous prévoirons un certain nombre de portions sans gluten et d'autres spécificités encore. Il vous sera possible d'opter pour ces choix dans le bulletin d'inscription.»
. «Nous sommes en train de gérer les choses pour faire en sorte que la rencontre C.C. soit "enfants admis". 
Parents, prenez-contact avec nous…»
. Covoiturage et transports en commun fortement encouragés.

mercredi 23 mai 2012

Actu. La gauche ? Quelle gauche ?



La gauche? 
Quelle gauche?
Le philosophe français Jean-Claude Michéa se le demande.
Et avec lui ce lecteur attentif 
qu'est son confrère belge Pierre Ansay.
Qui s'en expliquera sous peu.
A Louvain-la-Neuve.
 
La gauche de Michael Hardt ou de Toni Negri, très peu pour Jean-Claude Michéa!
Et pour cause.
Son chemin vers la gauche se veut radicalement divergent.
Divergent, notamment, de celui des intellectuels libéraux de gauche.
Auquel  il reproche de participer au délabrement moral des terroirs.
A la ringardisation des résistances provinciales.
A la
cosmopolisation des lieux.
Ainsi qu'à la promotion active et séductrice des sirènes libérales du progrès.
Pour Michéa, l’univers des travailleurs offensés et humiliés ne constitue pas un carcan ringard dont il conviendrait à tout prix de s’évader.
Il constitue au contraire «une somme de fidélités et d’habitudes composant un univers personnel qu’il s’agit à la fois de protéger et de partager.» (1)
«Depuis la Libération, il n’est pas un progrès de l’organisation capitaliste de la vie qui n’ait été précédé de sa légitimation de gauche, insiste-t-il. (…) 
Tout se passe comme si le soin de justifier la soumission des hommes aux impératifs du marché mondial avait désormais été abandonné pour l’essentiel aux différents courants de la gauche, depuis la social-démocratie la plus moderne jusqu’au “gauchisme” le plus pointilleux(2)

En bref
Quoi?
Une conférence: «Michéa versus Hardt et Negri. Deux chemins divergents et différents pour la gauche.»
Qui?
Un conférencier: le Docteur belge en philosophie Pierre Ansay.
Six organisateurs: 
. le CAPP (Centre d’Action pour un Personnalisme Pluraliste), 
. le Forum Civique Creatopia
. la revue Politique
. la PAC (Présence et Action Culturelle), 
. l’USC (Union Socialiste Communale) d’Ottignies-Louvain-la-Neuve, 
. La Vie Nouvelle Bruxelles.
Quand?
Le mardi 29 mai 2012,
à 19 h 30. 
Où?
A la Faculté des Sciences Economiques, Sociales, Politiques et de Communication de l'Université Catholique de Louvain (UCL),
Salle du Conseil,
4 Place Montesquieu
1348 Louvain-la-Neuve (Belgique)
(Plan d’accès sur http://www.uclouvain.be/5135.html) 
Combien? 
Entrée libre. 
Mais encore... 
Pour tout renseignement : vincent.triest@skynet.be
  
(1) Michéa Jean-Claude, Orwell Anarchiste Tory, Climats, Paris, 2008, p.89.
(2) Michéa Jean-Claude, idem, p.135.



lundi 21 mai 2012

Déliance scientifique. La raison simplifiante.


L'homme rationnel et réaliste
est un mythe.
Et l'«esprit raisonnant»
qui inspire notre société 
tout autant.
Car il tend au cloisonnement.
Et aux clivages.
«Déliance scientifique»,
décode 
Marcel Bolle de Bal (1)...

Marcel Bolle de Bal

Le paradigme de la science occidentale classique, construction rationaliste issue des œuvres de Descartes, implique l’élimination de la subjectivité, l’exclusion du sujet.
Il est fondé sur un mythe, qui domine la plupart des sciences sociales: le mythe de l’homme rationnel et réaliste, sans préjugés, aux conduites appropriées grâce à l’«information objective» (2)
La séparation entre le théoricien et le praticien, entre le chercheur et l’homme d’action, trouve sa source dans cette distinction qui inspire le rationalisme et le libéralisme: l’opposition entre les mythes et préjugés d’une part, la représentation réaliste du monde d’autre part. 
Le sociologue, dans cette perspective, est le produit de la production d’une société où triomphe l’esprit raisonnant.

Mais ce cloisonnement n’est pas le seul en cause. 
Le modèle rationaliste des rapports entre recherche et action, inspiré de la pratique des sciences dites exactes, se traduit dans le domaine des sciences humaines en général, de la sociologie en particulier, par quatre clivages cruciaux (3).

D’abord un clivage entre la recherche fondamentale (dite aussi –ce qui n’est pas un hasard– recherche «pure») et la recherche appliquée
La première est vouée exclusivement à l’acquisition du savoir; elle se désintéresse des conséquences pratiques, sociales, de ses investigations: si le «savant» s’en préoccupe, c’est en tant qu’homme privé, en tant que citoyen, non en tant que chercheur. 
La recherche appliquée, elle, vise des fins pratiques, non directement scientifiques, qui lui sont définies par la société globale ou tel groupe social en particulier: sa tâche scientifique consiste, le plus souvent, à déterminer les moyens adéquats pour atteindre ces fins. 
Cette distinction, dérivée des sciences exactes, repose sur deux postulats implicites: une conception statique, fixiste de la société, et une perception de celle-ci comme dangereuse pour le chercheur (les finalités sociales menacent la «pureté» des procédures et résultats de recherche). 
L’illusoire «indépendance» du chercheur fondamental (illusoire car elle s’acquiert en renonçant à étudier une part importante de la réalité sociale) et la soumission non illusoire de l’«applicateur» à ses clients sont deux attitudes qui se nourrissent réciproquement: l’une et l’autre camouflent souvent une commune pratique de conservatisme social, dans la mesure où elles évitent d’aborder les difficiles problèmes du changement social, dans ses contradictions concrètes, quotidiennes, humaines.

Ensuite, un clivage entre le chercheur et les structures sociales (groupes, organisations, institutions) qu’il étudie. Pour être et «faire» scientifique, il s’agit de «traiter les faits sociaux comme des choses». 
Ici, rendons au passage justice à Durkheim: celui-ci n’a jamais prétendu qu’il convenait de transformer ou de réduire les faits à l’état de choses, de les «réifier» comme aiment à dire et faire ses épigones technocrates-en-sociologie. 
Son intention était essentiellement épistémologique. 
Sur ce plan, néanmoins, elle est à la base du deuxième clivage signalé. Les manifestations de celui-ci sont multiples et raffinées: vocabulaire ésotérique, langage abstrait, érudition élitiste, laboratoire sophistiqué; sur le terrain, l’évitement de tout contact trop personnalisé avec le groupe, le recours à des méthodes «non gênantes» pour le groupe étudié (comme s’il pouvait en exister…). 
L’objectif avoué et valorisé est celui de la distance, garantie soi-disant indispensable de l’objectivité scientifique.

Puis un clivage entre les concepteurs et les exécutants d’une recherche, reflétant la division taylorienne du travail industriel. 
Ce clivage est illustré par les titres universitaires stigmatisant cette hiérarchie socio-professionnelle: docteurs et maîtres de recherche d’une part, assistants et attachés de recherche d’autre part. 
Très souvent, trop souvent, les «chercheurs» -c’est-à-dire ceux qui procèdent au réel travail de recherche – sont très peu associés à la conception de la recherche, à la formulation des hypothèses, à la négociation des contrats. 
On a pu les qualifier d’«O.S. de la recherche».

Enfin, des clivages psychologiques internes à la personne du chercheur, entre sa personne privée, sa personne professionnelle et sa personne civique, entre ses observations et ses sentiments, entre son esprit et son corps. 
Ces clivages sont renforcés par une prolifération d’interdits, normes intériorisées reflétant le credo de la vulgate sociologique enseignée dans les institutions dites scientifiques: ne pas se laisser troubler par ses sentiments, ne pas les exprimer, ne pas influencer les sujets, ne pas s’identifier aux fins du groupe, bref ne pas entrer en relation, ni avec les autres, ni avec soi-même… 
Loin de moi l’idée de prétendre que ces normes sont inutiles ou néfastes. 
Je souhaite seulement attirer l’attention dur le fait que, suivies au pied de la lettre, avec zèle et sans nuances, elles peuvent entraîner un considérable appauvrissement des hypothèses et des résultats.

Ce modèle rationaliste tend en effet à produire une connaissance atomisée, parcellaire, réductrice, «dé-liée» en quelque sorte. 
Ainsi paraît-il en être d’une certaine sociologie de la raison positive et quantitative, analytique, élaborée sur la base d’enquêtes par questionnaires ou interviews, de sondages d’opinions. 
A cela d’autres «rationalistes» tentent d’opposer une sociologie de la raison négative et critique, plus qualitative et synthétique, à qui ils fixent comme objectif le dévoilement des réalités –fonctionnement ou mouvement– latentes du système social. 
Mais ce second courant rejoint le premier dans une même définition de leur rapport à l’action. 
Pour eux, la connaissance sociologique, du seul fait de son existence, porte en elle une transformation potentielle, constitue une action qui se suffit à elle-même. 
Cette position minimaliste est de plus en plus contestée par nombre de sociologues qui estiment indispensable, sinon de développer ce potentiel d’action, du moins de s’interroger sur la réalité et le sens de cette action, sur les effets – éventuellement pervers – qu’elle peut avoir sur le sous-système social. (4)(5)


(A suivre)


Marcel Bolle de Bal


(1) Le (psycho)sociologue belge Marcel Bolle de Bal est professeur émérite de l'Université Libre de Bruxelles et président d'honneur de l'Association Internationale des Sociologues de Langue Française. Il a été consultant social (durant de nombreuses années), conseiller communal à Linkebeek, en périphérie bruxelloise (1965-1973, 1989-2000), lauréat du Prix Maurice van der Rest (1965). Il a signé plus de 200 articles et une vingtaine d'ouvrages, parmi lesquels...
. Les doubles jeux de la participation. Rémunération, performance et culture, Presses Interuniversitaires Européennes, Bruxelles, 1990;
. Wegimont ou le château des relations humaines. Une expérience de formation psychosociologique à la gestion , Presses Interuniversitaires Européennes, Bruxelles, 1998;
.
Les Adieux d'un sociologue heureux. Traces d'un passage, Paris, l'Harmattan, 1999;
. Le Sportif et le Sociologue. Sport, Individu et Société, (avec Dominique Vésir), Paris, l'Harmattan, 2001;
. Surréaliste et paradoxale Belgique. Mémoires politiques d'un sociologue engagé, immigré chez soi et malgré soi, Paris, l'Harmattan, 2003;
. Un sociologue dans la cité. Chroniques sur le Vif et propos Express, Paris, l'Harmattan, 2004;
. Le travail, une valeur à réhabiliter. Cinq écrits sociologiques et philosophiques inédits, Bruxelles, Labor, 2005;
. Au-delà de Dieu. Profession de foi d'un athée lucide et serein, Bruxelles,Ed. Luc Pire, 2007;
. Le croyant et le mécréant. Sens, reliances, transcendances" (avec Vincent Hanssens), Bierges, Ed. Mols, 2008.
(2)
Jacques BUDE, L’obscurantisme libéral et l’investigation sociologique, Paris, E. Anthropos, 1973, 221 p. 
(3) Sur ce point, cf. Max PAGES, La vie affective des groupes, Paris, Dunod, 1968, pp. 446-459.
(4) Le contenu de ce message nous a été envoyé par l'auteur, que nous remercions. Il constitue la septième partie d'un texte qui a déjà fait l'objet d'une publication: Bolle de Bal Marcel, Reliance, déliance, liance: émergence de trois notions sociologiques, in Sociétés 2003/2 (no 80), pp.99-131. Le solde du texte original suivra. Le titre et le chapeau sont de la rédaction.
(5) Pour suivre (sous réserve de modifications de dernières minutes): des messages consacrés
. au sous-système social de la déliance, puis à la liance (par Marcel Bolle de Bal),
. à la sociologie existentielle (par Marcel Bolle de Bal),

. au personnalisme (par Vincent Triest, Marcel Bolle de Bal...)....